Faire de l’accès a internet et ses ressources essentielles un droit effectif
Quel est l’objectif ?
- Faire en sorte que tous ceux qui souhaitent utiliser internet puissent le faire, quand ils en ont besoin, seuls ou accompagnés.
- Faire en sorte que les démarches administratives et les services essentiels demeurent ou deviennent accessibles à tous et que la société numérique facilite vraiment la vie quotidienne.
A quoi reconnaît-on que l’on progresse ?
- La fréquentation des sites et "apps" de service public, et notamment leur usage de la part des publics éloignés.
- L’accès facile pour tous, en ligne, au téléphone ou face à face, à des médiateurs capables de les accompagner dans l’accès aux droits et aux services essentiels.
- La perception de la facilité d’accès aux services essentiels en ligne, notamment de la part des publics éloignés.
- L’accessibilité des sites web publics.
- L’ouverture des données publiques et des interfaces de programmation (API) des sites publics, et le nombre de sites et d’applications qui en font usage pour proposer d’autres formes d’accès aux mêmes informations et services.
Pourquoi est-ce important ?
Plus de 80% des Français se connectent au moins de temps en temps à l’internet [1], le plus souvent à "haut débit" par le câble ou l’ADSL et de manière croissante, via un mobile. La question de l’accès n’a pas pour autant perdu son importance, elle a changé de nature :
- Parce que l’accès à internet est désormais reconnu comme un droit fondamental découlant de la liberté d’expression et de communication [2], il devient politiquement essentiel d’assurer l’effectivité de ce droit.
- Parce que l’accès est souvent considéré comme acquis, il devient difficile, parfois impossible, d’accomplir les démarches essentielles, de chercher un emploi, de se soigner, de travailler, de se loger, etc., sans participer au monde numérique.
- Mais une fois l’accès au réseau et l’équipement en terminaux assurés, d’autres problèmes d’accès subsistent : les gens peuvent avoir du mal à utiliser les outils, ou à résoudre les problèmes qui surgissent (bugs, virus, mannes, mises à jour, etc.) ; les services peuvent ne pas être "accessibles", adaptés à des publics aux besoins particuliers, aux handicapés notamment ; l’automatisation et la standardisation des procédures induites par leur numérisation peuvent les rendre moins intelligibles pour certains publics… L’accès pour tous est une cible mouvante, qui appelle des réajustements permanents.
Comment faire ?
Compte tenu de ce qui précède, ainsi que de la rareté des fonds publics, la dimension "accès" d’une politique d’inclusion numérique ne peut plus consister à déployer massivement des réseaux ou à distribuer des terminaux. Elle doit cibler précisément ses destinataires et les besoins auxquels elle veut répondre. Les 5 actions que nous proposons vont dans ce sens.
Action N°1 : Poursuivre une politique ciblée de soutien à l’accès à l’internet et d’accompagnement des usages
Responsables : associations, acteurs et lieux de la médiation, avec le soutien de l’Etat et des collectivités territoriales
Parmi les 20% de Français non utilisateurs de l’internet, une moitié environ subit l’absence de connexion. Plusieurs dizaines de milliers de foyers restent déconnectés, non par choix, mais faute de moyens. Pour d’autres individus, l’accès passera par des lieux publics, spécialisés (les espaces publics numériques, dont nous proposons d’engager une évolution ambitieuse – voir Recommandation 4) ou non (les associations solidaires, etc.).
En la matière, chaque situation est spécifique et des actions trop générales (par exemple l’octroi systématique d’une machine à toute une catégorie de population…) risquent à la fois de coûter cher et de ne pas atteindre leurs destinataires. Il semble préférable d’appuyer des initiatives portées par des acteurs au contact étroit des publics en difficulté (Emmaüs, ATD Quart Monde, des associations locales ou communautaires) ou encore, d’accompagner des démarches volontaires des bénéficiaires, comme le font certaines associations qui fournissent un ordinateur reconditionné à la condition que ceux qui le reçoivent passent quelques heures, soit en formation, soit à aider l’association à leur tour.
Enfin, toute l’expérience des années passées démontre que l’accès sans accompagnement de l’usage produit peu d’effet : l’action en faveur de l’accès rejoint alors celle en faveur des médiations de proximité.
Action N°2 : Créer un "trousseau numérique" mis à disposition de tous les Français
Responsables : l’Etat pour sa définition et sa coordination ; les collectivités territoriales pour sa diffusion, en collaboration avec les associations et les dispositifs de médiation ; les entreprises pour sa mise en oeuvre
Chaque citoyen doit pouvoir disposer, gratuitement si nécessaire, d’un "trousseau numérique" qui contient les éléments indispensables pour évoluer dans une société où la plupart des actes de la vie courante s’appuient sur des dispositifs numériques. Ce trousseau peut comporter une "domiciliation numérique", une identité certifiée par un agent public et rattachée à une adresse e-mail qui, elle, peut changer ; un espace de stockage en ligne des principaux documents administratifs numérisés ; un numéro de téléphone et une messagerie, etc.
Si le contenu du trousseau, les standards sur lesquels il s’appuie et les formats des données essentiels qu’il contient doivent être définis de manière commune, il pourrait ensuite être mis en oeuvre par des entreprises ou des innovateurs sociaux, pourquoi pas en concurrence les uns vis-à-vis des autres, sous réserve que le choix d’un fournisseur de service n’enferme pas l’individu qui en bénéficie dans une relation exclusive, et que la protection de ses données personnelles soit assurée.
Action N°3 : Développer des "tarifs sociaux" ciblés pour l’internet et le mobile
[Responsables : l’Etat et l’Arcep, les offices HLM, les opérateurs, les collectivités territoriales]
Les abonnements à l’internet et au mobile représentent une part importante des dépenses des ménages les plus modestes. Pire, les dispositifs prépayés finissent par aboutir à des situations dans lesquelles les plus modestes paient plus cher leur minute de communication, leur message, que les autres, plus gros utilisateurs !
Il faut, d’une part, encourager l’existence de politiques tarifaires spécifiques visant les publics en difficulté, proposées par les acteurs privés.
D’autre part, des initiatives intelligentes peuvent conduire à réduire fortement la facture pour des ménages modestes. C’est en particulier le cas dans l’habitat social, où la mutualisation des coûts de raccordement, assumés en coopération entre les opérateurs et les offices HLM et répercutés dans le loyer de tous les locataires, permet ensuite de proposer un abonnement très peu coûteux aux foyers qui le désirent. Ce raccordement mutualisé ouvre aussi la possibilité de nouveaux services de suivi des consommations (eau, gaz, électricité) à même d’aider à réduire les factures des foyers. Nous proposons que des offres similaires deviennent obligatoires dans le bâti neuf et que toute entreprise de rénovation significative d’un parc inclue également l’installation du haut débit jusqu’aux appartements.
Le Très Haut Débit est-il une politique d’e-inclusion ? Contrairement au haut débit, le "très haut débit" (THD) ne répond pas aujourd’hui à une demande des ménages, ni même de la plupart des entreprises : il s’agit plutôt d’un pari ambitieux sur l’avenir, fondé sur la conviction – raisonnable – que la montée en débit fera émerger de nouveaux usages, ouvrira à la voie à de nouveaux services et imposera, tôt ou tard, des nouveaux "standards" de connectivité et de réactivité aux entreprises. Le déploiement du très haut débit ressort d’abord d’une stratégie de compétitivité économique (pour les entreprises utilisatrices) et de développement du marché, que l’on peut saluer, mais certainement pas d’une stratégie d’inclusion sociale. C’est vrai en France comme à l’étranger : le THD se déploie en priorité dans les zones urbaines denses ou auprès des entreprises et on ne s’approche nulle part, même en Corée du Sud, des 100% de connexion [3]. Il n’y a guère d’hypothèses dans laquelle le développement du THD ne commencerait pas, au moins au départ (mais probablement pour de longues années) par creuser l’écart entre les territoires. |
Action n°4 Harmoniser les sites d’accès aux services publics par des interfaces cohérentes
Responsables : l’Etat pour la définition de lignes directrices et pour ses propres administrations, les services publics et les collectivités territoriales pour leurs sites
Les services publics [4] ont une responsabilité dans le design de l’expérience des interfaces d’accès à leurs services en ligne. L’Etat se doit de penser son offre de services publics d’une façon qui soit pertinente dans le parcours d’usage des utilisateurs et doit porter une attention particulière à la cohérence de ses interfaces. Quel que soit le service auquel l’usager veut accéder, il doit retrouver les mêmes façons de fonctionner, la même architecture d’information, la même façon de naviguer, le même langage, la même façon de s’adresser au citoyen. L’Etat doit être garant que l’expérience usager soit simple, efficace et pertinente par rapport au contexte et aux moments où il les utilise.
Ceci passe par un programme de refonte de tous les sites d’accès aux services publics, appuyé sur une charte de principes de design et de conception pour les interfaces numériques.
Action N°5 : Faire de l’accessibilité des sites et des "apps" une obligation
Responsables : l’Etat pour la définition de lignes directrices et pour ses propres administrations, les services publics et les collectivités territoriales pour leurs sites
L’accessibilité des sites web publics aux handicapés reste aujourd’hui très insuffisante. Selon une étude européenne, la France se place avant-dernière en matière d’accessibilité des sites web publics. 28 % des répondants français ayant une affection de long terme ou un problème de santé déclarent avoir eu des difficultés à utiliser un site public. Ceci, contre 4 % pour Malte – 1er au classement européen, et 19 % pour la moyenne européenne. 66% des Français déclarent qu’eux ou leurs proches n’ont jamais rencontré de problème d’accessibilité, quand ce taux dépasse 80 % en Suède, en Slovaquie et à Malte. [5]
Qui plus est, chaque nouvelle génération technologique remet en question les efforts consentis au préalable. Pourtant, ne pas garantir l’accessibilité des sites publics alors même que la présence des services publics sur le territoire se réduit, revient à exclure de fait les personnes en situation de handicap de la vie commune. Et l’on sait, depuis plusieurs années, que les efforts en matière d’accessibilité profitent également à de très nombreuses personnes "valides".
Nous proposons par conséquent :
- Sans attendre l’adoption éventuelle de la Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’accessibilité des sites web d’organismes du secteur public, de rendre contraignant l’application du Référentiel général d’accessibilité des administrations [6] (RGAA), en l’assortissant de sanctions en cas de non-application.
- La mise en avant des sites administratifs qui ont déjà fait l’effort de mise en conformité avec les normes du W3C (WCAG 2.0) et la création de référentiels de conception proches de ceux de l’administration britannique [ [https://www.gov.uk/designprinciples ]]. Un concours, pourquoi pas ouvert à des sites privés de "services au public", pourrait donner un caractère positif à cette mobilisation en faveur de l’accessibilité.
- L’évolution du web étant constante, d’encourager les recherches permettant de faire évoluer au même rythme les référentiels d’accessibilité.
- Alors que l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) vient d’adopter un traité [7] permettant de desserrer les contraintes de propriété intellectuelle pesant sur l’accès aux oeuvres pour les aveugles et les malvoyants, qu’un dispositif législatif vienne limiter la durée des brevets sur du matériel ayant fait l’objet d’un reconditionnement par un organisme agréé.
Comment financer cette priorité ?
Certaines des actions que nous proposons en matière d’accès se confondent avec les actions proposées en matière de médiation, dont nous décrivons le financement par ailleurs.
Le "trousseau numérique" peut être développé à peu de frais par de multiples acteurs. Certains consortiums d’entreprises tels qu’Idénum, pourraient également prendre des initiatives dans ce domaine. Les coûts par utilisateur resteraient très faibles et l’on pourrait imaginer que des services à valeur ajoutée payants viennent enrichir les offres de base.
Certaines entreprises et certains offices HLM proposent déjà des tarifs sociaux très peu coûteux. Les mesures proposées pourraient s’inspirer de ces exemples pour les étendre.
S’agissant des autres actions, nous proposons que leur financement représente un pourcentage, même faible, des investissements prévus en matière de très haut débit.