Economie collaborative et contrat de travail : quoi de neuf sous le soleil ?

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L’économie collaborative a le vent en poupe, c’est indéniable, mais comment la qualifier sur le plan juridique ?

L’économie collaborative repose sur un modèle triangulaire : un contrat d’entreprise signé entre la start-up, société donneuse d’ordres, et le travailleur indépendant, qui exécute la prestation de services pour les clients de la start-up couvrant des secteurs d’activités variés tels que la conduite automobile ou les services à la personne.

Elle reflète du côté de la société donneuse d’ordres un besoin en flexibilité pour satisfaire ses clients et une restriction des coûts sociaux pour se développer. Quant au prestataire de services, il n’a aucun lien hiérarchique avec la start-up. Il est libre dans l’organisation de son temps de travail et cumule souvent plusieurs emplois en même temps. Le client retire de cette relation contractuelle un avantage certain, une prestation de services à exécution rapide et à moindre coût.

Un modèle (déjà) à bout de souffle ?

Mais ce modèle économique connaît des limites, puisque les start-up font aujourd’hui l’objet de nombreuses class actions pour requalification en contrat de travail des relations contractuelles établies entre elles et le travailleur indépendant.

Ces sociétés cherchent simultanément à limiter au maximum leurs coûts pour accroître leur développement et contrôler la qualité de la prestation de services délivrée par le travailleur indépendant. C’est pourquoi ces plateformes forment les travailleurs indépendants et les obligent à respecter un certain nombre de pratiques identifiables par le client.

En juin dernier, l’administration californienne a requalifié une relation contractuelle en contrat de travail pour une plateforme de VTC, au motif que seule la plateforme peut décider des tarifs pratiqués par les chauffeurs, facturer des frais à ceux d’entre eux qui refusent des courses, voire même suspendre ou désactiver leurs comptes comme elle l’entend : tout dépend de la cote de satisfaction du client. Cette décision a été confirmée en appel. En revanche, d’autres Etats (la Géorgie, la Pennsylvanie, le Colorado, l’Indiana, le Texas, New York et l’Illinois) ont rendu des décisions contraires à celle précédemment citée, laissant planer une réelle incertitude juridique sur le statut de ces prestataires de services.

Les nombreuses actions judiciaires qui sont aujourd’hui aujourd’hui lancées aux Etats-Unis par le biais de class actions ou même d’actions individuelles pourraient-elles apparaître en France ?

Le cas français

En France, il ne sera pas forcément de passer par des mécanismes de ce genre : les juges ne sont pas liés par la qualification donnée par les parties au contrat et peuvent ainsi requalifier la relation en contrat de travail au regard du « principe de réalité ». En utilisant la méthode du faisceau d’indices, le juge peut en effet mettre en exergue le lien de subordination, qui se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Tel fut le cas dans le célèbre arrêt « Labbane » (Cass. Soc., 19 décembre 2000) où un contrat de location d’un véhicule taxi a été requalifié en contrat de travail, aux motifs que le chauffeur louait chaque mois par tacite reconduction du contrat un taxi à une société moyennant le paiement d’une redevance jusqu’au jour où la société donnant en location le taxi a mis fin à la relation contractuelle.

Si l’on en vient à examiner de plus près les décisions qui ont pu être rendues aux Etats-Unis, à savoir des obligations strictes quant au matériel à utiliser ou aux vêtements de travail à porter, des directives impératives quant à la manière d’exécuter la prestation de service, des sanctions prononcées en cas de mauvaise exécution, et une rémunération fixe non négociable versée par la start-up au travailleur indépendant, ces éléments sont autant d’indices qui permettraient d’alimenter le contentieux de la requalification en France.

En effet, la start-up dispose du pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution du travail fourni et de sanctionner les manquements du prestataire de services. Un lien de subordination pourrait être ainsi mis en exergue, révélant l’existence d’un contrat de travail. En outre, la rémunération non négociable versée serait la contrepartie de la prestation de services du travailleur qui n’aurait d’indépendant que le nom.

Le retour du refoulé juridique

Néanmoins, le contentieux de la requalification s’apprécie in concreto et il appartiendra au juge prud’homal de vérifier, dans chacun des cas d’espèce soumis, la réalité des éléments de fait.

Les dirigeants des start-up doivent garder à l’esprit que s’ils veulent éviter une requalification de leur relation contractuelle en contrat de travail, ils doivent veiller à conserver ce qui constitue l’essence même de l’économie collaborative : l’autonomie et l’indépendance.

L’économie collaborative commence à être rattrapée par la loi. A plus long terme, il faudra sans doute également que la loi évolue pour rattraper le retard qu’elle a pris face à une économie en constante évolution.

Un billet de Claire Puissilieux

Après avoir exercé plusieurs années en tant qu’avocate au Barreau de Paris, j’occupe aujourd’hui la fonction de juriste en droit social.

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Via un article de Article Invité, publié le 29 janvier 2016

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