Enfin un « upgrade » de l’exception de citation envisagé dans la prochaine directive sur le droit d’auteur ?

Une nouvelle directive sur le droit d’auteur est en cours d’examen par les différentes commissions du parlement européen. La version initiale préparée par la Commission européenne n’était pas très encourageante. A part sur quelques points limités (Text et Data Mining par exemple), elle ne contenait guère de dispositions en faveur des nouveaux usages. En revanche, plusieurs mesures inquiétantes figuraient dans le texte, comme des menaces sur les liens hypertexte ou une obligation de filtrage automatisé des plateformes. A tel point que certains eurodéputés ont lancé une campagne intitulée #SaveTheLink, afin que les citoyens appellent leurs représentants à bloquer ces propositions dangereuses pour l’avenir d’Internet.

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Mais le droit d’auteur est une matière hautement instable, souvent sujette à rebondissements politiques. Et plusieurs bonnes surprises se sont visiblement glissées à l’intérieur d’un rapport de la Commission Culture du Parlement européen publié il y a quelques jours. Attention, je ne dis pas que l’intégralité de ce document est encourageante, mais je ne vais pas me livrer ici à une analyse intégrale qui serait trop longue. Je vais me concentrer sur une proposition particulièrement intéressante que ce texte comporte : l’idée de créer une nouvelle exception obligatoire pour tous les Etats membres, destinée à sécuriser la production des « User Generated Content » (contenus produits par les utilisateurs). Elle prend la forme d’un « droit de citation élargi » qui paraît bien adapté aux nouvelles pratiques induites par le numérique et que nous étions nombreux à attendre, même si la proposition de la commission Culture reste encore perfectible.

Une exception en faveur des « User Generated Content »

De quoi s’agit-il exactement ? Le plus simple est de citer directement le passage du rapport qui explique pourquoi la création de cette nouvelle exception se justifie (v. page 5, je traduis en français) :

La proposition initiale de la commission ne reconnaît pas le nouveau rôle que les consommateurs, en tant qu’utilisateurs de services, occupent à présent dans l’environnement numérique. Non contents de se limiter à un rôle passif, ils sont devenus des contributeurs actifs et sont à la fois des producteurs et des récepteurs de contenus dans l’écosystème digital. En effet, certaines plateformes sont conçues dans leur architecture, leur modèle économique et l’agencements de leurs services autour de ce double rôle de leurs utilisateurs. D’un point de vue juridique, le Rapporteur estime que les pratiques numériques des utilisateurs ne bénéficient pas d’une sécurité juridique suffisante par rapport aux règles applicables en matière de droit d’auteur, en particulier les exceptions et limitations. C’est pourquoi une approche spécifique est requise, qui constituera le « quatrième pilier » de cette directive.

Pour créer ce quatrième pilier, le Rapporteur définit tout d’abord la notion de contenus produits par l’utilisateur (user generated content), qui constituent la base de la plupart des pratiques des usagers en ligne. Ces contenus produits par les utilisateurs sont susceptibles de comprendre des extraits d’oeuvres protégées par le droit d’auteur dans une mesure qui ne nuit pas aux titulaires de droits. Ces pratiques sont d’ailleurs déjà largement répandues en dépit de l’incertitude juridique qui les caractérise. Le Rapporteur propose de créer une nouvelle exception obligatoire protégeant les usages de tels extraits dans la mesure où certaines conditions sont respectées de manière à s’assurer que les usages restent proportionnés.

Les pratiques numériques auxquelles il est fait référence renvoient à des usages dont j’ai eu l’occasion de parler à de nombreuses reprises sur S.I.Lex. Il peut s’agir par exemple de pratiques citationnelles, qui utilisent des contenus audiovisuels à des fins de commentaire et de critique, comme beaucoup de vidéastes sur YouTube souhaitent par exemple pouvoir le faire sans craindre d’être inquiétés par les ayants droit ou les algorithmes de filtrage de la plateforme. Il peut également s’agir de pratiques plus créatives comme les remix, les mashups, les fanfictions ou les détournements dont le cadre juridique reste à ce jour extrêmement incertain malgré l’ampleur de leur adoption par les internautes.

L’exception de courte citation, notamment telle qu’elle est appliquée par les juges en France, reste mal adaptée dès que l’on s’éloigne du champ littéraire. Or il existe aujourd’hui un besoin criant de sécuriser les citations audiovisuelles dans un périmètre raisonnable, de manière à permettre l’exercice serein des libertés d’expression et de création sur Internet.

Vers un droit de citation 2.0 ?

Pour remédier à ces lacunes actuelles du système, le rapport de la Commission Culture du Parlement européen propose l’introduction d’une nouvelle exception formulée comme suit (voir p. 44, je traduis à nouveau) :

Exception pour les contenus produits par les utilisateurs (user generated content)

Les Etats-membres devront mettre en place une exception [au droit d’auteur et aux droits voisins] de manière à autoriser l’usage numérique de citations ou d’extraits d’oeuvres et d’autres objets protégés incorporés dans des contenus générés par des utilisateurs notamment à des fins telles que la critique, l’information, le divertissement, l’illustration, la caricature, la parodie ou le pastiche dans la mesure où ces citations ou extraits :

  • Sont tirés d’oeuvres ou d’autres objets protégés qui ont déjà été légalement portés à la connaissance du public
  • Sont accompagnés de la mention de la source, y compris le nom de l’auteur, à moins qu’une telle formalité soit impossible à accomplir
  • Et sont utilisés de façon équitable et d’une manière qui ne s’étend au-delà du but spécifique pour lequel ils sont employés.

Toute clause contractuelle contraire à l’exception prévue par cet article serait nulle et non avenue.

Le rapport comporte aussi une définition des « User Generated Content », qui montre clairement une volonté de dépasser la limitation au texte (voir p. 36) :

Par « contenu généré par l’utilisateur », on entend une image, un ensemble d’images animées avec ou sans bande sonore, un enregistrement sonore, des données ou une combinaison de ces éléments, qui sont chargés ou diffusés sur une plateforme par un ou des utilisateurs.

Usage équitable et citation créative

Cette formulation comporte plusieurs éléments intéressants, qui me paraîtraient de nature à dépasser bien des blocages de la situation actuelle. Tout d’abord, l’exception fait référence aux termes de « citations ou d’extraits ». Or la notion « d’extraits » figure déjà dans la directive InfoSoc de 2001, notamment en ce qui concerne les usages d’illustration de la recherche et de l’enseignement. On sait que quand les textes européens emploient le terme « extraits », ils font référence à des portions d’oeuvres plus larges que les « courtes citations » du droit français. Il ne s’agit pas de pouvoir utiliser des oeuvres dans leur intégralité, mais dans une mesure raisonnable par rapport au but poursuivi par l’utilisateur. Et pour réguler les usages, la proposition du rapport renvoie au standard souple de « l’usage équitable qui ne s’étend au-delà du but spécifique pour lequel les extraits sont employés« . Voilà de quoi introduire dans le système suffisamment de souplesse pour appréhender la variétés des usages numériques, en posant cependant des limites pour éviter les abus.

Par ailleurs, le texte comporte un mot en particulier, susceptible d’étendre de manière très intéressante le champ de la pratique citationnelle. On voit en effet que plusieurs buts légitimes sont mentionnés qui permettent la réutilisation d’extraits. La critique, l’information, l’illustration, la parodie, la caricature, le pastiche figurent déjà dans la définition actuelle des exceptions de citation et de parodie. Mais la proposition ajoute comme but valable le « divertissement » (entertainment en anglais). L’insertion de ce terme doit être relevé, car elle ouvre la voie à un usage « créatif » de la citation, qui n’existe pas aujourd’hui dans les textes. Si je prends un exemple, il sera possible sur cette base de réutiliser des extraits d’un film, non seulement pour produire un commentaire critique (comme le font beaucoup de YouTubeurs spécialisés dans le cinéma), non seulement pour réaliser des parodies (pratique là aussi très courante), mais aussi tout simplement pour produire de nouvelles créations divertissantes. Et on se rapproche alors d’une exception capable d’englober les pratiques de mashup et de remix.

Enfin, l’exception présente explicitement un caractère d’ordre public, c’est-à-dire qu’elle prévaut sur les clauses contractuelles contraires et cela revêt une importance particulière dans la mesure où elle a vocation à s’appliquer à des plateformes dont les Conditions Générales d’Utilisation (CGU) peuvent être hostiles à ce genre de pratiques et fragiliser la position des utilisateurs.

D’une certaine manière, cette exception fait beaucoup penser au « droit au mashup » introduit en 2011 dans la loi sur le droit d’auteur au Canada. La formulation ici proposée présente néanmoins à mon sens plusieurs avantages par rapport à la solution canadienne, notamment le fait qu’elle ne s’appuie pas sur la distinction usage commercial / usage non commercial. Ici au contraire, comme c’est déjà le cas pour les exceptions de citation et de parodie, l’usage commercial pourrait être admis. L’équilibre des droits en présence se fait plutôt par l’entremise de la notion « d’usage équitable », ce qui est bien préférable.

La proposition de la Commission Culture du Parlement européen se rapproche aussi des recommandations du rapport Lescure, qui souhaitait sécuriser le cadre juridique des « pratiques transformatives » en procédant à « une extension de l’exception de citation, en ajoutant une finalité créative ou transformative« . L’angle d’attaque retenu est légèrement différent, mais l’esprit est sensiblement le même.

Mais une exception limitée aux plateformes centralisées…

Néanmoins, tous ces points positifs viennent avec un énorme point noir, directement lié à la notion « d’User Generated Content » qui sert de pivot à cette nouvelle exception. En effet, le texte est très clair sur le fait que pour bénéficier de ce nouveau droit de citation élargi, il faut être dans la position d’un utilisateur de plateformes. On songe notamment à des sites comme YouTube, DailyMotion, SoundCloud, mais aussi des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. Or si de nouveaux droits à la réutilisation de contenus sont ouverts pour les internautes, il serait extrêmement dommageable de les réserver uniquement aux utilisateurs de plateformes centralisées. Au nom de quoi, une personne qui réutilise des extraits d’oeuvres audiovisuelles aurait-elle le droit de le faire sur YouTube, mais pas sur un site web personnel ? Rien ne justifie une telle restriction et ce serait même toxique pour l’écosystème numérique tout entier d’obliger les internautes à recourir à des services centralisés pour pouvoir créer.

Beaucoup de choses sont intéressantes dans cette proposition, mais à condition de ne pas s’en tenir aux User Generated Content et à la production de contenus sur les plateformes. Il suffirait pour cela de généraliser la rédaction de l’exception en supprimant ces restrictions inutiles de son champ d’application.

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Malgré ces réserves, il est assez remarquable que ce soit la commission Culture du Parlement européen, généralement une des moins enclines à aller dans le sens des exceptions au droit d’auteur, qui ait fait une telle proposition en faveur des usages. Cela montre que les équilibres politiques en présence sont beaucoup plus nuancés que ce à quoi on pouvait s’attendre. Reste à présent à soutenir ce genre d’initiatives et peut-être que nous aurons finalement contre toute attente une directive européenne qui aborde les vraies questions posées par la révolution numérique.


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Via un article de calimaq, publié le 14 février 2017

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