UPFing06 : Howard Rheingold, “nous devons apprendre à faire vivre un espace public dans une société libre”

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Enjeux, débats, prospective , eDémocratie , Communautés , Coopération , Comptes rendus - Par Hubert Guillaud le 19/06/2006

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

Howard Rheingold n’a pu faire le déplacement jusqu’à Aix-en-Provence. Il était néanmoins présent par le biais d’une longue interview audio réalisée par Daniel Kaplan, que vous retrouverez en ligne (anglais, durée 40’).

Pour Howard Rheingold, depuis l’écriture en 2001 de SmartMobs [voir la présentation du livre par Howard Rheingold et une interview que nous avions réalisé en 2004], les événements ont plutôt confirmé les intuitions du livre. L’internet est devenu un média dominant dans les communications de plusieurs à plusieurs.

Les gens s’auto-organisent à des échelles et à une rapidité inatteignables auparavant. Apparaissent aussi des phénomènes de production collective fondée sur les “communs” comme le logiciel libre ou Wikipédia - ce que Yochai Benkler (La Richesse des Réseaux) décrit
comme “une production économique hors du champ du marché” .

En coopération avec l’Institute For The Future, Rheingold poursuit aujourd’hui son travail au travers du projet Cooperation Commons. Il s’agit d’étudier la partie non-technologique du phénomène Smart Mobs : qu’est-ce qui incite les individus à agir de concert, à coopérer ? L’objectif est de connecter - comme dans les années 1990, lorsqu’il s’agissait d’étudier la complexité - une série de travaux et de découvertes issus de champs très différents (économie expérimentale, biologie, sciences politiques, psychologie...) et qui pourtant convergent (voir la carte du paysage d’étude de la coopération). Le projet s’efforce d’une pa ! rt d’encourager le développement d’études inter ! disciplinaires de la coopération et de l’action collective et d’autre part, d’appliquer les premiers éléments de compréhension dont on dispose, à des situations concrètes.

L’étude de la coopération et de l’action collective part de trois “mythes fondateurs” sur la coopération (ou son absence) :

  • le dilemme du prisonnier : l’absence de coopération, liée par exemple au fait que les acteurs ne se connaissent pas ou ne peuvent pas communiquer entre eux, aboutit à une solution sous-optimale pour tous - une impasse qu’eBay a par exemple levé en introduisant son système de réputation.
  • la tragédie des communs : livrés à eux-mêmes, les humains surconsommeront toujours les ressources communes - une analyse très célèbre du biologiste Garret Hardin, que les observations ne confirment pas toujours, comme l’explique par exemple Yochai Benkler dans ”L’économie politique des biens communs“.
  • le dilemme des biens publics : pourquoi y contribuer alors qu’on peut les consommer pour rien ?

Ces dilemmes sont censés fournir une explication rationnelle à la nécessité d’imposer aux humains des formes institutionnelles de coopération - et pourtant, on constate dans l’histoire qu’un grand nombre d’institutions d’action collective ont pu émerger sans contrainte. Ces institutions émergent cependant d’autant plus facilement que des technologies abaissent les barrières à la coopération. Les technologies ne produisent pas de la coopération, mais elles peuvent la faciliter. D’où la question : comment les gens peuvent-ils utiliser les ressources technologiques et des contrats sociaux pour résoudre des conflits ou des problèmes collectifs difficiles de partage de ressources, de développement, etc. ?

Tout phénomène collectif ne relève cependant pas de la “coopération”. Nous manquons de vocabulaire pour exprimer les nuances de l’action collective. Rheinglod propose a minima le terme plus modeste de “participation”. L’internet et le web sont des “architectures de la participation”, comme les décrit Tim O’Reilly dans “Qu’est-ce que le web 2.0 ?”. En créant un lien vers une autre page, en étiquetant une photo de FlickR, en mettant une chanson à disposition sur un réseau d’échange, on “participe” sans coopérer activement, par simple addition, par agrégation... Et sans contrôle centralisé, sans intention particulière au départ, la “corne d’abondance des communs” (Benkler) se remplit et des valeurs collectives émergent de ces actions individuelles.

Intention ou pas, il y aurait donc des “valeurs” dans ces architectures de la participation. Le théoricien des médias Geert Lovink, de son côté, en doute. Selon lui, les blogueurs n’ont pas de projet collectif et il s’agit pour eux de conversation, d’identité, de tout ce que l’on veut sauf de coopération ou de “citoyenneté”. Les participants actifs aux principaux espaces du “Web 2.0 ? sont “une petite élite de jeunes hommes occidentaux plus quelques informaticiens venus d’ailleurs“. Enfin, “le web est très efficace dans la dissolution. Il est beaucoup plus dur de s’en servir efficacement pour construire un contre-pouvoir“.

“Mais y avait-il un projet commun entre tout ceux qui ont tiré partie de l’invention de l’imprimerie ?“, s’exclame Howard Rheingold. “Ceux qui ne sont pas président de la Corée du Sud ou premier ministre d’Espagne savent bien que quelque chose s’est passé... Je crois qu’il est encore un peu tôt pour les jugements définitifs. Certes, savoir se servir d’un blog ou d’un wiki ne suffit pas pour exercer un pouvoir collectif. Nous avons encore besoin d’apprendre comment exercer notre responsabilité qui consiste à faire vivre un espace public dans une société libre”.

Lien permanent, interview audio et réaction en ligne

Posté le 27 juin 2006

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