Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Opinions, Politiques publiques, gouvernance, eDémocratie, Communautés, Gouvernance de l’internet, Territoires - Par Hubert Guillaud le 13/07/2006
(magazine en ligne sous licence Creative Commons)
Qu’est-ce qui fait que des réseaux ou des territoires, pas nécessairement à la pointe des outils web 2.0, vivent, “bourdonnent”, se développent mieux que bien des réseaux traditionnels établis et parfois plus à même d’être technologiquement mieux équipés ? Pourquoi des services communautaires prennent et d’autres meurent ? Pourquoi des gens participent, collaborent, coopèrent, s’investissent dans certains réseaux et pas dans d’autres ?
Les territoires électroniques qui fonctionnent, où il se passe quelque chose aujourd’hui, ne reposent pas sur des outils, aussi évolués soient-ils. Ils ne reposent pas plus sur des modalités de participation souvent confuses et toujours trop compliquées. Ils reposent avant tout sur un ou quelques animateurs qui cristallisent autour d’eux la conversation et les échanges en ligne. Parfois sans même le moindre blog ou le moindre wiki, à la tête d’une simple liste de diffusion ou d’un réseau absolument informel, ils animent, par leur présence, par leur activité, par leur prise de parole, toute une communauté. Bien évidemment, lorsqu’elle laisse des traces sur le web, cette animation arrive parfois à transparaître, mais pas toujours. Elle reste souvent disséminée derrière des pages web ou le long de commentaires éparpillés sur la toile. Quand elle atteint une audience remarquable ou une participation démultipliée, elle fait alors figure de tête de proue.
Cette participation active qui n’a pour but que d’amener les autres à s’impliquer en ligne, que d’amener les internautes à participer, phagocyte les énergies, agglomère les approbations comme les oppositions. Cette activité qui, aujourd’hui comme hier et comme demain, fait le sel de l’internet, a pourtant un coût. La modération, la réponse aux commentaires, la coordination, l’émulation, l’encouragement que ce soit par ses propres efforts ou à son corps défendant, sont des tâches usantes et souvent ingrates. Pourtant, force est de reconnaître que ces animateurs, souvent dans l’ombre, tiennent aujourd’hui, à bout de bras, des communautés vivantes d’utilisateurs, comme tout un chacun voudrait en avoir devant son site. Si ce coût est supporté aujourd’hui par le plaisir, l’émulation ou la reconnaissance, on peut néanmoins se demander si l’on pourrait mettre cette activité en valeur autrement. Où et comment cette activité bien réelle tient-elle lieu de faire valoir ?
Nulle part. Cette animation électronique, qu’elle soit le fait de réseaux thématiques, de communautés spécifiques, de personnes isolées, n’est jamais prise en compte. Aujourd’hui, les animateurs de réseaux sont en dehors des plans de développement web, ne sont pas comptabilisés par les modèles économiques des services qui comptent pourtant sur eux pour exister. Dans un budget TIC ou lors d’une demande de subvention, l’animation n’existe pas. Elle est presque toujours passée en pertes et profits, alors qu’elle est la valeur la plus importante des nouvelles technologies.
Peut-être faut-il y voir la difficulté chronique de notre société à reconnaître comme il se doit toutes les fonctions de médiation ? Peut-être faut-il y voir le signe d’une tension, d’une crise de gouvernance, entre des systèmes pyramidaux classiques, et des systèmes plus horizontaux où des animateurs font l’indispensable passerelle entre disciplines, métiers et personnes ?
Ce qui sûr en tout cas, c’est que ces animateurs, coordinateurs, organisateurs, modérateurs, relanceurs, vivificateurs - appelez les comme vous voudrez - font l’internet. Reste encore à comprendre et faire comprendre que cette animation est centrale. Qu’elle a un coût, qu’elle a un rôle et qu’elle engendre aussi et surtout des bénéfices. Espérons que bientôt, elle soit au coeur des process, là où elle n’est bien souvent encore qu’un pis-aller. Car elle est le pivot, l’articulation vitale des initiatives en ligne, quelles soient citoyennes, institutionnelles, associatives ou commerciales.
Alors animateurs de réseaux, de territoires, de communautés, permettez-moi de vous remercier. Votre présence en ligne nous est indispensable. Elle nous nourrit et nous apporte, comme le dit le sens premier de votre fonction, un “supplément d’âme”.
Hubert Guillaud