Une Déclaration des droits des usagers des bibliothèques, par le consortium EiFL

A l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur (dont j’ai déjà eu l’occasion de parler), le Consortium EiFL (Electronic Information for Librairies) a publié une déclaration en faveur des droits des usagers de bibliothèques, de l’éducation et du développement qui mérite que l’on s’y attarde.

Un article repris du blog S.I.lex Au croisement du droit et des sciences de l’information. Carnet de veille et de réflexion d’un bibliothécaire publié sous licence Cretaive commons by

Le consortium EiFL est une sorte de COUPERIN international, qui œuvre pour favoriser l’accès à la connaissance dans les pays en transition par le biais des bibliothèques, en intervenant dans les négociations avec les éditeurs de ressources électroniques et en développant des programmes spécifiques (Open Acces, Logiciels libres …). EiFL est aussi très présent dans le lobbying international relatif à la propriété intellectuelle, notamment par son action auprès de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle).

Par le biais de son programme Intellectual Property, EiFL contribue de manière très constructive au débat sur la refonte des règles du droit d’auteur dans l’environnement numérique et je vous recommande tout particulièrement le guide pratique EiFL Handbook on Copyright and related issues que le consortium a fait paraître l’année dernière.

La déclaration sur les droits des usagers des bibliothèques d’EiFL est intéressante, car elle réaffirme les grands principes d’équilibre en matière de propriété intellectuelle, qui sont au fondement de l’action des représentants des bibliothèques, et que l’on retrouve exprimé par les grandes déclarations de l’IFLA ou l’IABD.

EiFL commence par rappeler le rôle fondamental que jouent les bibliothèques dans l’accès à la connaissance, en particulier dans les pays en développement. Le consortium réaffirme par ailleurs l’importance du mécanisme des exceptions et limitations au droit d’auteur pour un fonctionnement équilibré de la propriété intellectuelle.

“The mechanism that makes copyright work is exceptions and limitations and a limited term of protection, combined with appropriate protection for rightsholders (…) Library exceptions expand the accessibility of library collections, support the research needs of library users, and enhance education. They allow libraries to copy works in copyright for the purposes of teaching, research, and preservation, and to serve people with disabilities who may require special formats for accessibility”.

EiFL exprime également ses craintes devant l’évolution des législations et des traités sur le droit d’auteur, qui tendent à réduire la place des exceptions, notamment dans l’environnement numérique et à fragiliser le domaine public.

“Over the years, however, the copyright system has become increasingly unbalanced in many countries due to the introduction of digital technologies, as new rights for copyright owners have been introduced and the term of protection extended, while exceptions and limitations for the use of digital material have not kept pace. Unfair licence terms for access and use of digital content, as well as legal protection for technological protection measures, have created further pressures on libraries providing services in the digital environment”.

EiFL milite pour que les législations dans le monde consacre un socle minimal d’exceptions pour permettre aux bibliothèques de remplir pleinement leurs missions :

“EiFL-IP librarians support effective provisions in national copyright law to fulfil the public service mission of libraries. These include exceptions and limitations for :

  • the support of education
  • research or private purposes
  • persons with disabilities
  • preservation
  • inter-library document supply
  • technological protection measures (TPMs)
  • orphan works”.

Et à ce titre, EiFL soutient la démarche engagée par l’OMPI pour reconsidérer la place des exceptions et limitations en faveur des bibliothèques à l’ère du numérique dans les traités internationaux (démarche qui me paraît également très riche en potentialités).

On pourra noter pour conclure que la France est encore assez loin du socle minimal d’exceptions appelé par ses vœux par EiFL. La loi française ne contient en effet aucune disposition relative au prêt entre bibliothèques (lequel pose d’ailleurs des difficultés sérieuses sous forme numérique) et le problème des œuvres orphelines reste entier, malgré une brûlante actualité et l’offensive de Google.

La loi DADVSI a bien introduit de nouvelles exceptions, l’une relatives aux handicapés (qui vient de rentrer en application), les autres aux usages pédagogiques (qui n’est pas prête elle d’entrer en vigueur !) et à la conservation des œuvres par les bibliothèques, mais ces dispostions restent très limitées et mal adaptées à l’environnement numérique.

Le débat sur la loi Hadopi aurait pu être l’occasion de remettre le métier sur l’ouvrage et de réfléchir sur les exceptions au droit d’auteur, dans un esprit d’équilibre. Mais l’ambiance délétère qui a régné durant les discussions et la focalisation sur la répression n’ont pas permis d’aborder ces questions, pourtant essentielles.

Il faut noter cependant que l’exception conservation est en bonne voie d’être légèrement revue par le législateur pour être pleinement applicable par les bibliothèques (reprenant une demande formulée par l’IABD auprès des députés). Mais je n’en parlerai plus en détail que lorsque la loi sera définitivement adoptée (pas de fausse joie …).

Je terminerais en disant que cette déclaration en faveur des droits des usagers des bibliothèques me paraît plus constructive que la récente Déclaration des droits du livre, publiée par en février dernier par l’association des éditeurs Text’OCentre, qui contenait des éléments intéressants, mais qui oubliait aussi un personnage essentiel : le lecteur (et avec lui, toutes les institutions -bibliothèques, éducation documentation et autres - qui l’aident à accéder à la connaissance).

En fusionnant les deux déclarations (et pour moi, ces deux approches sont compatibles), on obtiendrait un beau texte en forme de trait d’union entre tous les acteurs que le Livre réunit : auteurs, éditeurs, lecteurs, bibliothèques …

Posté le 2 mai 2009

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