Retranscription par Jean Baptiste Soufron de la conférence_débat sur le P2P pair à pair

conférence à l’assemblée nationale organisée par "Temps-Nouveaux"

Voici un extrait des notes prises par Jean Baptiste Soufron et publiées sur son site avec une reprise ici des interventions de Christian Paul et Alain Lipietz.

Vous trouverez en ligne une retranscription des débats

Avertissement : cette retranscription est une simple prise de notes et peu comporter des imprécisions. Elle comporte également un certain nombre quelques lacunes, je n’ai pas forcément pris en compte toutes les présentations qui étaient faites.

Le sommaire :

  • Table Ronde avec : Ludovic Pennet, Tariq Krim, Julien Millet.
  • Discours d’Alain Lipietz
  • Table ronde avec : Ludovic Penet Xavier Filliol, GESTE Christophe le Bars, APRIL Jean Vincent, ADAMI Christophe Espern, EUCD.info

en voici quelques extraits :

Les propos d’Alain Lipietz, député Européen tels que notés par Jean Baptiste Soufron

Merci à tous et merci de m’avoir invité. Je crois que c’est une bataille qui commence et, avant de venir spécifiquement sur la production artistique, je crois que c’est une bataille d’une plus grande ampleur : la bataille sur la propriété intellectuelle dans la guerre de la production du travail. C’est la main d’oeuvre décisive dans l’organisation de la division du travail pour les années à venir à travers les combats sur les OGM, les brevets logiciels, etc.

Autrefois, la conception semblait se concentrer au nord, la réalisation intervient au sud. Seulement, aujourd’hui ces pays sont en train de s’approprier ces techniques de production que nous leur avons confiés, et de développer leurs propres systèmes de développement. Ils remontent dans l’organisation de la division du travail.

Ce qu’il reste c’est de remonter d’un cran, par des astuces légales, notre propre niveau dans l’organisation de la production du travail, en se réservant certains éléments. Et là, l’art n’est que le paravent des problèmes qui apparaissent ailleurs : pour certains, toute la production intellectuelle devrait être faite au nord, la production au sud.

Pour nous les verts, c’est une bataille stratégique. Nous défendons farouchement l’idée d’un patrimoine commun important contre le nouveau mouvement des "enclosures" qui avait permis la prolétarisation des paysans. En fait, ces biens intellectuels sont les conditions de la richesse collective et leur accès doit être garantie le plus possible.

Mais l’objection fondamentale, c’est de dire que leur production et leur entretien a un coût qui doit donner lieu à une rémunération. Nous ne le nions pas et nous sommes aussi pour la rémunération du savoir indigène sur la biodiversité.

Et dans cet objectif, il est difficile de supprimer l’OMPI puisque c’est dans ce cadre qu’on peut avoir des discussions internationales. Le problème n’est pas lié aux multinationales, mais directement aux gouvernements. En effet, ce sont les gouvernements de l’Europe et des USA qui font bloc contre le tiers-monde sur ces sujets.

Qu’est ce qui sera appropriable, qu’est ce qui fera l’objet d’une rémunération ?

Le parlement européen est un de ces lieux de production législative, il est encore légérement pour le patrimoine commun, mais la Commission, organe des gouvernements, penche nettement dans l’autre sens. Cela prend des dimensions ridicules quand Madame Fourtou, députée européenne mais femme du directeur de Vivendi, est chargée de rédiger les rapports sur la propriété intellectuelle.

En ce qui concerne la rémunération, l’économie du don est une réalité qui représente la très grande majorité des échanges de l’humanité et qui est antérieure aux autres formes d’économie : on peut l’appeler réciprocité, don et contre-don, on donne à la société parce que la société nous donne ce dont on a besoin. Les autres systèmes sont la redistribution (l’état utilise les impôts pour redistribuer) et l’échange (on propose ses services contre de l’argent).

Le P2P est fondé sur ce sentiment de communauté. On y retrouve des problèmes liés à l’économie du don, comme le problème des amateurs qui se saisissent de problèmes qu’ils ne maîtrisent pas. C’est le même problème que celui qu’on retrouve dans les familles autrefois, les associations aujourd’hui, etc. Pourquoi citer l’associatif ? Parce que, quand elles avaient du succès, les associations qui assuraient l’éducation du prolétariat se voyaient reprocher de faire une concurrence aux entreprises qui donnaient des cours de kayak, etc.

Toutes les formes d’économie réelle doivent être mixtes. Dans la réalité des activités artistiques, ce système mixte est structurel. Le P2P est donc simplement l’extension des éléments que je viens d’aborder parce que les activités intellectuelles sont par essence soumises à la diversité des formes de rémunération. Elle a été le prototype de la possibilité d’être rémunéré sous les trois formes que j’ai identifié. Les artistes ont commencé à échanger leur prestation contre de l’argent, mais même à ce moment, Molière était aussi subventionné par la redistribution des impôts.

D’une certaine façon, le problème majors contre indépendants nous renvoie à des batailles comme jeunes producteurs du sud vs vieux producteurs du nord.

La conclusion de Christian Paul rapportée par Jean Baptiste Soufron

Conclusion de Christian Paul :

Merci d’avoir animé cette dernière table ronde. Un immense merci à tous ceux qui sont venus débattre aujourd’hui. La synthèse serait impossible. Je voudrais simplement partager avec vous quelques réflexions sur un débat qui dure en France depuis deux ans, depuis quatre ou cinq ans aux USA.

La discussion doit tenter de concilier des positions inconciliables au départ. A la fondation des temps nouveaux, on a commencé à discuter ces questions depuis un an en cherchant à voir quels étaient les impacts de la révolution numérique sur l’ensemble des usages culturels. Et puis après les derniers mois de débat public, ont a eu le sentiment qu’il fallait véritablement changer de position. Il a fallu passer le cap et aller à une participation dans cette bataille politique dans laquelle s’engagent des professionnels très organisés.

Pour ma part, je privilégie plutôt ce qui rassemble que ce qui oppose. Si on veut que se créée un débat public sur ces questions, il est important d’être organisé. Au-delà de tout ce qui s’est dit aujourd’hui dans cette salle, il se passe beaucoup de choses à l’extérieur : au parlement, au ministère où on négocie des chartes répressives, etc.

L’objectif est maintenant de mettre en place un carcan répressif sur l’internet. Ca c’est joué lors de la LEN pendant les 18 mois de débat, au moment de la réforme de la LIL qui est devenu une loi de surveillance sur le réseau. C’est aussi inadmissible qu’un parlementaire puisse maintenant être président d’une autorité administrative indépendante.

On amalgame alors ce qui relève de la contrefaçon avec ce qui relève d’autres usages dont je souhaite la légalisation explicite. Avec le terme de piraterie employé par l’ancien ministre de la culture, voila une vision contre laquelle nous devons nous insurger. La confrontation des intérêts et la négociation doivent faire apparaître des formes alternatives de rémunération. Il était plutôt courageux, il y a quelques mois, qu’une société de droit comme l’ADAMI comprenne l’intérêt de ses mandants et rompe l’omerta sur ces questions pour nous aider à nous sentir un peu moins seul. D’autres ont suivi comme l’UFC ou l’UNAF. Le rapport de force commence à s’inverser.

Lors des opérations de transposition, nous serons un certain nombre de parlementaires à porter les idées que j’avance ici. Si nous le faisons avec détermination, ce n’est pas seulement parce que la révolution numérique destabilise les modèles. C’est aussi parce que nous pensons qu’il faut être capable de faire un aller-retour entre les principes politiques essentiels et ce qui relève de l’organisation de la société. Le débat d’aujourd’hui pose des questions essentielles pour la république : la question des libertés. Que ce soit la question des libertés sur le réseau ou la question de la liberté des consommateurs, la question de la liberté d’accès à la culture, le partage entre ce qui relève de la sphère privée, ce qui relève du marché, ce qui relève de l’intervention publique.

Oui, la vente de musique en ligne va se déployer massivement. Le temps passé à faire des guérillas juridiques ou à inventer des mesures de protection technique auraient mieux été employées à préparer le public.

Et il y a aussi de nouveaux modèles fondés sur l’échange. Pour ma part je ne les concois pas sans l’invention de nouvelles formes de rémunération. Le deal est à passer sur ce terrain là. On ne peut pas imaginer la légalisation du P2P ou d’autres formes d’échange, surtout au niveau de la musique, sans aborder la question des nouvelles formes de rémunération.

Dans l’appel diffusé à la veille de ce colloque comme trame d’une possible position politique, nous avons insisté avec LP sur un certain nombre de points : la légalisation du P2P, la nécessité de bien identifier l’impact de la révolution numérique sur les secteurs classiques, etc.

Enfin, nous avons demandé également qu’il y ait un moratoire sur les poursuites. On nous annonce des procès pour l’automne, par centaines. Je souhaiterais que ce ne soit qu’une rumeur. La responsabilité de l’Etat c’est de permettre les conditions d’un débat public sur ces questions. Criminaliser ce qui est aujourd’hui la pratique de masse de millions de français ne me paraît pas être la bonne solution politique.

Et puis, au niveau européen, l’interpellation est essentielle. On va maintenant transposer une directive ancienne, elle-même tirée d’un accord encore plus ancien. Il faut dès maintenant lancer une nouvelle discussion européenne à la lumière des nouvelles mutations technologiques.

Devant cette croisade, il ne faut pas répondre par une contre-croisade, mais répondre par une coalition qui mette en oeuvre l’intérêt général et prévienne les dérives. De façon tout à fait pragmatique, il est temps de créer les conditions de la légalisation explicite du P2P. C’est un débat culturel majeur.

Posté le 28 septembre 2004 par Michel Briand

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