- Donc Internet, le multimédia, sont au cœur de Médias-Cité ?
Oui mais le multimédia au sens large. Plus exactement c’est vraiment la question de la démocratisation des usages liés à ces outils qui nous intéresse. On a parfois autant de choses à travailler pour l’infrastructure technique que pour le sens du projet.
- Combien de structures actuellement participent à Médias-cité ? Quelle est l’échelle de travail régionale, nationale ?
Actuellement le territoire d’action de Médias-Cité est le territoire de la région Aquitaine et sur certaines missions le territoire national et européen. Nous avons 30 à 40 structures adhérentes ; et après en structures touchées directement ou indirectement par l’action de Médias-Cité, on est sur 200 à 250 structures.
- Peux-tu citer quelques réalisations de Médias-Cité ?
Pour prendre en exemple l’un de nos membres fondateurs, le Florida d’Agen, il s’agit de l’accompagnement d’un projet qui était préexistant mais que nous avons aidé à structurer : cahier des charges, mise en place et en adéquation équipement / contenus /usages, aide à la mise en œuvre du projet, formation des équipes et des services nécessaires pour assurer l’activité.
On peut également citer le travail d’animation de réseaux, avec par exemple le réseau de Espaces Culture Multimédia en lien avec le Ministère de la Culture.
- Peux-tu expliquer comment cela a débuté ?
On revient à l’accompagnement du Florida d’Agen qui a rapidement été labellisé en Espace Culture Multimédia (E.C.M.). Le ministère de la Culture s’est aperçu que le travail que l’on avait fait en direction du Florida était nécessaire et utile pour d’autres lieux.
A partir de ce moment-là, la proposition nous a été faite rapidement de travailler en accord avec le Ministère sur l’accompagnement des lieux et sur l’animation de ce réseau naissant pour en favoriser la structuration.
- Accompagner cela veut dire quoi ?
C’est simultanément d’un point de vue très territorial dans la région Aquitaine, un accompagnement in-situ des lieux avec formation des animateurs, des responsables de projet, etc…
D’un point de vue national, c’est le travail autour de rencontres régulières qui ont lieu une fois tous les deux trois mois. C’est également le travail autour d’un centre de ressources en ligne, qui permet de travailler les compétences, les projets, de mutualiser les expériences et de favoriser les transferts de savoir et de savoir-faire.
Il y a également tout un travail sur la prospective sur les usages.
Enfin, il y a aussi l’accompagnement de projets artistiques et d’artistes qui permettent ensuite de faciliter la rencontre avec les Espaces Culture Multimédia qui n’ont pas toujours la possibilité de d’amorcer la relation avec l’artiste ou le projet. Il s’agit un petit peu d’un rôle d’incubateur et de pépinière d’initiatives artistiques.
Bref, c’est pas mal de champs qui vont d’une approche strictement technique, en passant par de la méthodologie jusqu’à de l’accompagnement de projets et nécessairement de la veille technologique et de la prospective.
- Ces réseaux fonctionnent-ils ? Les lieux qui font de la diffusion des usages et de l’’accès ou de l’usage local, sont-ils prêts à coopérer avec d’autres ?
On est quand même sur des pratiques nouvelles, en ce sens qu’elles s’opposent en tout point avec tout ce qui nous a été mis un peu dans la tête dans le cadre scolaire où travailler avec le petit copain d’à côté, c’est copier donc négatif.
On a tout un travail de déconstruction qui n’est pas naturel à faire. Et tout un travail ensuite pour essayer d’expliquer en quoi cette approche est complémentaire des logiques structurelles du réseau Internet. Expliquer comment elle peut permettre au lieu de fonctionner mieux et différemment sur d’autres logiques, notamment avec la circulation des animateurs à l’échelle d’un territoire.
Beaucoup d’approches qui ne sont pas si innovantes en soi, le sont pour des équipements culturels très autonomes voire refermés sur eux-mêmes. Faire qu’un lieu de musique actuelle aille voir une bibliothèque n’est pas forcément ce qu’il y a de plus naturel. Notamment pour que la bibliothèque les laissent entrer !...
Non sérieusement, c’est à ce moment là que l’on commence à parler de secteur culturel et plus tellement d’équipement de culture et plus simplement de choses sectorisées.
- Quels sont les freins au travail en réseau, à la mutualisation, au niveau de ce réseau des E.C.M. ?
Ce que je vais dire n’est pas spécifique au réseau des E.C.M., parce qu’il n’est pas si particulier de ce point de vue.
Avec toute l’activité des lieux, travailler sur sa propre auto-formation n’est pas très très simple.
Donc le premier ennemi du fonctionnement réseau c’est le temps, même si une fois que l’on est en réseau ça fait gagner du temps ; mais il faut passer le cap.
Ensuite, c’est souvent la jeunesse et le déficit d’approche d’un secteur professionnel .
Et enfin la difficulté dues à ce que les animateurs ont plusieurs tâches simultanées : ils sont responsables de l’animation, responsables du réseau, ils doivent expliquer aux équipes de permanents comment fonctionne tout ça et ils sont en même temps porteurs de l’éthique du projet. C’est beaucoup de tâches pour une seule personne, on souffre donc aussi du manque de ressources humaines dans les équipes.
- Médias-cité est passée du soutien au travail culturel à l’accès public à Internet. Comment est venu votre intérêt sur la question de l’accès public en général ?
Historiquement, notre problématique était autour de la démocratisation du multimédia. La question de l’accès public a été quasi immédiate puisque dans la charte fondatrice de Médias-cité, la question est d’essayer d’amener des éléments pour que tout le monde puisse s’approprier les codes et les signes liés à ces nouvelles technologies de l’information. Donc l’accès public a été quelque chose de naturel et d’immédiat.
L’entrée par le culturel vient de ce que notre approche vise non pas simplement une proposition d’un service mais une proposition d’usage(s). Pour les usages, il vaut mieux avoir les contenus. Et les pratiques culturelles ou éducatives sont particulièrement pertinentes de ce point de vue là.
- Qu’avez vous appris en faisant cette étude pour le Conseil Régional d’Aquitaine, sur la typologie, sur la cartographie des lieux d’accès public en Aquitaine.
La Région Aquitaine a effectivement permis la réalisation d’une étude en 2000. Depuis, nous avons développé des outils complémentaires et qui nous permettent d’avoir un réel visu de l’accès public en Aquitaine - à terme au niveau national.
Ce projet rentre dans le cadre du Centre de Ressources Régional pour les Usages du Multimédia, mis en oeuvre par Médias-Cité, et en partie soutenu par la Région.
Ce que l’on voit déjà c’est la difficulté en terme de lisibilité de politique publique, c’est à dire qu’historiquement tout a toujours été orienté sur et de l’infrastructure et de l’économique.
Cette analyse est en soi erronée dans la mesure où tant qu’il n’y aura pas d’usagers, ce n’est pas la peine de parler de modèle économique, s’il n’y a personne. C’est comme si on construisait des voies ferrées avec des services dans les wagons et qu’il n’y ait pas de voyageurs parce qu’on n’a pas installé de gare.
Cela pose un problème de fond. Et le déficit d’analyse est à peu près similaire au déficit d’analyse que l’on avait pour les déchets il y a dix ou quinze ans. A ceci prêt que l’on s’est formé aux déchets et on a massivement investit parce que des déchets dans la rue cela se voit, pas le fossé numérique...
Ce que l’on constate c’est qu’il y a une répartition territoriale qui est assez intéressante. Mais si elle répond souvent aux internautes, elle répond peu aux gens qui sont laissés de côté par le fossé numérique, notamment du fait des horaires d’ouverture. Avec une sur-représentation des médiathèques qui sont en train d’aménager leurs horaires d’ouverture, mais sur lesquels après 19 h, en Aquitaine, on a à peine une vingtaine de lieux ouverts en accès & intiation gratuits. Cela reste faible sur à peu près 200 lieux qui existent en Aquitaine.
- Vous avez développé un outil "Localis" qui présente cette cartographie de l’accès public. A quoi cel peut servir ? Comment peut-il être utilisé ?
Les objectifs sont multiples.
Le premier, avant tout, est de faire en sorte que chaque Aquitain puisse repérer ce qui existe autour de lui.
On constate que souvent par déficit du nombre de personnes dans l’équipe il n’y a peu communication sur les activités des lieux d’accès public. Voilà un champs de mutualisation intéressant. C’est aussi parfois par peur de recevoir trop de publics et de ne pas savoir comment les gérer.
Le premier objectif est, donc d’apporter l’information aux Aquitains pour leur permettre de savoir vers quel lieu aller au plus proche.
Avec la difficulté que si pour savoir où est le lieu le plus proche, on utilise Internet, il y a un problème de sens. Pour y remédier il y a des éditions papiers qui sont prévues.
Le second objectif est surtout d’essayer d’apporter une analyse en terme de politique publique. C’est par exemple essayer de définir les zones d’intervention qui sont relativement urgentes.
Un certain nombre d’indicateurs nous permettent de savoir par exemple le nombre de salariés du secteur, le type de formations qu’ils ont eues, d’où ils viennent, le niveau moyen de salaire.
Ce qui est intéressant, c’est essayer de faire un minimum de prospective pour essayer d’impulser au niveau des politiques publiques puisqu’on est bien sur un service d’utilité publique, des vraies politiques d’intervention sur ce secteur, pour que l’on puisse travailler sur le fossé numérique et non pas se donner bonne conscience en se disant, il y a quelques bornes d’accès donc tout va bien.
Le troisième est pour les responsables des lieux pour repérer ce qui est autour d’eux et progressivement poser des principes de synérgies locales facteur de pérennisation des lieux.
- Vous avez fait le choix de développer l’outil avec des logiciels libres, pourquoi cet engagement en faveur du libre, quel sens y donnez-vous ?
Pour une raison très simple : une partie de ce travail a été financée par des fonds publics, (le reste par notre propre mécénat...). Dès lors on considère que le résultat de ce travail d’ingénierie doit à la fois dans ses résultats et dans ses méthodologies être présent dans le domaine public.
Le seul moyen est de poser dès le départ la question du logiciel libre et la question des droits liés à l’utilisation du travail qui a été fait avec ces fonds publics. Ce travail est mis dans le domaine public, toutes les documentations et les analyses qui en résultent également.
- Cela veut dire que si une autre région, un « pays « souhaitent pouvoir cartographier ses espaces publics, ils peuvent travailler avec Médias-Cité ?
Nous souhaitions qu’il ne soit pas indispensable de travailler avec Médias-cité et c’est pour cela que Localis a été développé en logiciel libre et est disponible.
Néanmoins, on est plus qu’ouvert à travailler avec une région, car cela nous permet d’avancer. Les indicateurs que l’on peut élaborer n’ont de sens que si nous avons des bases de comparaison.
Actuellement, l’analyse qui a été faite est unique en France, voire en Europe ; ça veut dire que ce qui nous intéresse c’est élaborer peu à peu des échantillons qui nous permettent de relativiser le travail que l’on a fait.
Nous comptons également faire intervenir sur les parties développement Makina-Corpus, sans qui le développement ne se serait pas aussi bien passé.
- Médias-cité a accueilli les premières rencontres REMICS, fait partie d’IC3 et en assure la présidence. Pourquoi cet engagement dans l’interconnexion des réseaux ?
Exactement pour la même raison que pour la question précédente.
A un moment donné ce que l’on fait peut être très intéressant, seulement cela n’a pas d’intérêt si on est seul, c’est en contradiction avec la logique de partage de compétences, on ne cherche pas à inventer seuls une vérité.
La nécessité de se mettre en réseau avec des structures comme la nôtre, pas identique à la nôtre, mais qui partagent la même éthique, est apparue très rapidement.
La nécessité d’articuler notre travail et donc de prendre du recul par rapport à notre pratique n’est possible qu’avec des espaces de parole, de discussion, d’échange, de confrontation ; et c’est pour cela que l’on a travaillé sur le principe d’I3C.
Et par ailleurs, sur les REMICS, ce qui nous semblait très important c’est que cela nous permettait, par rapport au développement local que l’on était en train de faire, de travailler sur l’articulation depuis le développement local jusqu’au plus global ; articulation qui par rapport au réseau nous semble fondatrice.
- Sur l’avenir et les enjeux, quels sont les points clés qui te semblent importants pour I3C, ou pour le développement des usages ou la réduction de la fracture numérique ?
Il y a plusieurs choses.
- D’abord sur la question de tous les outils qui nous sont nécessaires pour travailler ensemble ; là il y a des choses qui apparaissent de plus en plus, mais il y a la nécessité très rapidement de devenir aussi prescripteur et créateur d’outils ; c’est un peu ce que l’on a essayé de faire avec Localis.
Et cela demande aussi de s’adjoindre progressivement des compétences de développeur, de gens à qui on donne le cahier des charges, même s’ils est nécessaire d’avoir toutes les compétences techniques pour correctement piloter le projet.
Cela présente aussi l’intérêt de travailler le modèle économique de ces créations grâce à des coûts partagés, donc des fonctionnements en réseau. Ca c’est la première chose, la création d’outils propices au travail.
- Deuxièmement, c’est la diffusion du travail qui est à faire, c’est à dire le fait qu’il y a un certain nombre de personnes, de structures qui défendent un certain nombre de valeurs mais qui n’auront d’intérêt que si elles sont de plus en plus partagées et qu’elles sont de plus en plus réparties territorialement ; la question de l’aménagement du territoire est très importante.
- Ensuite, il y a la question de travailler sur une analyse critique pour ne pas mystifier la question du fossé numérique : ce n’est pas parce qu’il y a 30 % de gens qui sont connectés qu’on a réussi le travail parce que la partie dure du travail -c’est à dire toucher ceux qui sont les moins naturellement usagés de ces outils là- arrive maintenant.
Là où on analyse un risque, c’est que l’on est en train de relâcher l’effort en voyant les sondages qui nous disent on a augmenté de 10 % le nombre de connectés, sauf que c’est au contraire le signe qu’il faut renforcer maintenant les outils, les méthodologies et l’exigence de l’action.