Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Interviews/ Services et applications/ Communication interpersonnelle/ P2P - Par Cyril Fievet le 30/11/2004
(magazine en ligne sous licence Creative Commons)
InternetActu.net : Combien y a-t-il d’utilisateurs de Skype aujourd’hui ?
Niklas Zennström : Aujourd’hui, 16 millions de personnes utilisent Skype dans le monde. Mais nous avons plus de 100 000 nouveaux utilisateurs chaque jour. La version payante du service, SkypeOut, est utilisée par près de 400 000 personnes. Pour utiliser une notion du monde de la téléphonie, cela représente plus de 500 millions de minutes consommées par mois.
InternetActu.net : Observez-vous des usages spécifiques, différents de ceux d’un téléphone classique ?
Niklas Zennström : Il est clair que les gens passent plus de temps à parler avec Skype qu’ils ne font avec un téléphone traditionnel. Cela vient bien sûr du fait que c’est gratuit, mais aussi parce que c’est plus pratique et plus confortable qu’un téléphone, car on peut utiliser les enceintes et le micro de l’ordinateur...
InternetActu.net : Qu’allez-vous proposer comme autre type de services ? Quid de la visioconférence ?
Niklas Zennström : Nous sommes en train d’y travailler, et avons réalisé des prototypes, qui sont en cours de test. Cela devrait être opérationnel l’année prochaine, mais je ne peux pas dire quand exactement. Nous avançons pas à pas, et il est difficile de prédire le temps qui sera nécessaire pour parvenir à quelque chose suffisamment bon. Nous proposerons une fonction de vidéo quand la qualité sera bonne.
Le but n’est pas seulement d’ajouter de nouvelles fonctionnalités, mais d’être sûr que tout va parfaitement fonctionner. C’est pareil dans d’autres domaines. Si vous prenez le iPod par exemple, la raison de sa popularité est sa simplicité d’utilisation. Il ne comporte pas des milliers de fonctionnalités, mais il marche bien. On peut dire la même chose de Google, qui est très basique, mais fonctionne très bien.
InternetActu.net : Vous voulez également développer la possibilité d’utiliser Skype à partir d’un téléphone mobile...
Niklas Zennström : Oui, ce que l’on voit, c’est que les téléphones mobiles sont de moins en moins de simples téléphones, et de plus en plus des machines dotées d’un système d’exploitation. La plupart des constructeurs sont en train de déployer des systèmes d’exploitation ouverts, qu’il s’agisse de Symbian, Windows, Linux ou Palm, ce qui veut dire que pour nous, le téléphone mobile est juste un autre type d’ordinateur. Nous voulons donc que Skype soit disponible sur toutes ces plates-formes, pour que les utilisateurs puissent télécharger notre logiciel et le mettre sur leur téléphone.
Nous adopterons le même approche que pour Skype en version traditionnelle : la version Windows était disponible sur un site Web, et la plupart de nos utilisateurs viennent le télécharger. Mais nous avons aussi établi des partenariats, basés sur des logiciels préinstallés sur des PC. Si vous achetez un ordinateur Packard-Bell, Skype est installé d’origine. Notre modèle ne repose pas sur ces partenariats, mais c’est une bonne chose, et nous ferons la même chose pour les appareils mobiles.
Skype est aujourd’hui disponible pour des PDA, mais vous devez encore le télécharger sur le Web.
InternetActu.net : SkypeOut est le nom de votre service payant, permettant à un PC muni de Skype d’appeler un téléphone quelconque, fixe ou mobile. Que sera SkypeIn ?
Niklas Zennström : SkypeIn sera également disponible l’année prochaine, j’espère en début d’année. Le service reposera sur le fait que chaque utilisateur peut se voir attribuer un numéro de téléphone Skype. Ce numéro sera un numéro local de votre pays de résidence. Vous pourrez donc être appelé sur ce numéro, et l’appel parviendra à votre logiciel Skype. SkypeIn est donc le contraire de SkypeOut, permettant de recevoir des communications émises à partir d’un téléphone quelconque, sur votre PC. Le service sera couplé à une messagerie vocale, qui permettra à l’appelant d’enregistrer un message si l’appelé ne répond pas.
InternetActu.net : En termes de prix et de facturation, comment fonctionnera le service ?
Niklas Zennström : Les utilisateurs devront payer pour obtenir un numéro Skype, qui se présentera comme un numéro normal. Ensuite, l’appelant qui cherche à joindre un numéro Skype sera facturé, comme pour un appel traditionnel [NDLR : si l’appelant est en France et appelle un numéro Skype français, il ne paiera que le prix d’une communication locale, même si l’appelé peut recevoir l’appel depuis n’importe où dans le monde, via son ordinateur muni de Skype...].
Nous n’avons pas encore décidé si l’obtention d’un numéro Skype sera assujetti à un paiement unique ou à un abonnement mensuel.
InternetActu.net : Vous insistez également sur le fait que Skype est une petite entreprise, et sur le fait que “il n’y a plus d’avantage d’être gros, car ce sont désormais les plus rapides qui battent les plus lents”.
Niklas Zennström : Oui, l’industrie a coutume de raisonner par rapport à l’ARPU, “Average Revenue Per User", le revenu moyen généré par chaque utilisateur. Je préfère parler d’ARPE, “Average Revenue Per Employee", qui établit les revenus générés par chaque employé de l’entreprise...
Nous sommes 80 personnes dans Skype. Nous voulons continuer à croître, et même si les prédictions sont difficiles à faire, je ne crois pas que Skype deviendra un jour une entreprise de plusieurs milliers de personnes. Je crois qu’il est plus important d’avoir les bonnes personnes que beaucoup de personnes. Plus vous êtres nombreux, plus il est difficile de bouger et de s’adapter.
InternetActu.net : Comment êtes-vous perçus par les opérateurs traditionnels ?
Niklas Zennström : Ca dépend. Beaucoup d’entre eux travaillent avec nous, notamment sur nos services SkypeOut et SkypeIn. Mais certains nous ignorent, et semblent considérer que Skype est juste un “truc pour les informaticiens". Ou que Skype ne décollera pas, et que ce n’est qu’un joujou, qui nécessite d’être tout le temps sur l’internet, etc. Lors de la conférence, le représentant de France Telecom parlait “de garantir la qualité” ou de “sécurité"... J’ignore totalement ce dont il parlait. Skype est plus sécurisé que n’importe quoi d’autre. Cela me fait penser à ce que les spécialistes des mainframes disaient quand le micro-ordinateur est apparu : pourquoi les gens voudraient-ils des ordinateurs personnels, qui ne sont pas fiables, et pour lesquels il n’y a pas de marché ?
Skype est possible pour plusieurs raisons, qui reposent sur des choses qui se produisent simultanément. La principale est le haut débit, et les opérateurs télécoms vont avoir beaucoup de mal, dès l’année prochaine, à faire payer pour des appels téléphoniques. Leur avantage est qu’ils contrôlent toujours les réseaux, et peuvent facturer l’accès au haut débit. Si vous observez l’évolution des revenus, vous voyez que les revenus du téléphone fixe diminuent, mais très lentement, car c’est compensé par les appels de fixes vers mobiles. Mais les revenus du haut débit, eux, augment considérablement, dans une proportion bien supérieure au déclin des revenus fixes. Donc Skype est bon pour les opérateurs télécom : nous les aidons à vendre plus de haut débit !
InternetActu.net : Pour changer de sujet, quelle est votre opinion sur la problématique de la diffusion de la musique en ligne, et sur la position de l’industrie musicale, confrontée aux réseaux d’échanges P2P ?
Niklas Zennström : Je crois que l’industrie musicale est surtout confrontée à elle-même. Ils ont toujours eu des problèmes dès qu’une nouvelle technologie apparaît. A chaque fois, ils ont perçu les changements comme une menace, et tenté des démarches juridiques pour légiférer ou interdire.
Par exemple quand les radios sont apparues, l’industrie du disque pensait que c’était une grande menace pour elle, car qui voudrait acheter des disques quand on peut écouter de la musique gratuitement à la radio ? Ils ont donc essayé d’interdire les radios. En fait, ce qui s’est produit est que les radios sont devenues le meilleur outil de promotion du disque que l’on pouvait imaginer. C’est la même chose pour le magnétoscope, dont ils pensaient qu’il tuerait l’industrie du cinéma, et que plus personne n’irait dans les salles de cinéma. Ils ont cherché à l’interdire, et c’est la Cour Suprême aux Etats-Unis qui a déclaré que le magnétoscope n’était pas inégal. Dans le cas du magnétoscope, deux ans après la décision de la Cour Suprême, on a vu que l’une des principales sources de revenus de l’industrie du cinéma étaient les vidéos.
Donc l’histoire nous dit qu’à chaque fois, une nouvelle technologie est considérée comme une menace, mais s’avère en réalité une opportunité, qui profite à l’industrie. Il ne faut pas être un génie pour comprendre que le partage de fichiers est le moyen le plus efficace qui soit pour faire la promotion d’un contenu. Vous avez des centaines de millions de personnes qui ne font que chercher du contenu, de la musique et des vidéos. Et en plus, le P2P est le moyen le plus efficace de distribuer un contenu. Pourquoi continuerais-je à aller dans un magasin pour acheter un disque à 16 euros ? Une fois que j’ai converti le contenu dans mon ordinateur, il est dans ma base iTunes et je n’ai plus besoin du disque. Je n’utiliserai plus jamais ce disque ! Ce mode de distribution est donc complètement dépassé.
Les technologies de partage de fichiers en P2P sont légales. Malheureusement, l’industrie musicale aurait dû comprendre que c’était le meilleur moyen de distribution possible, et s’approprier ces technologies il y a longtemps. Ils commencent à le faire, mais très lentement. Il y a iTunes ou Napster ou d’autres, mais si vous voulez remplir votre iPod de musique, cela vous coûtera plus de 10 000 euros, ce qui est un problème... Ils ont donc accompli une première étape, mais continuent à fixer un prix pour la musique qui est le même que pour la musique en CD. Ils devraient au contraire baisser considérablement le prix, puisque le mode de distribution est considérablement plus efficace et moins coûteux.
Du reste, si vous comparez le nombre de chansons achetées sur iTunes au nombre de fichiers échangés en P2P, vous voyez que c’est totalement négligeable. C’est une bonne chose d’avoir ces services payants, mais cela ne fera pas disparaître le P2P. Le P2P existe et ne disparaîtra jamais. L’industrie du disque doit faire avec, et trouver de nouveaux modèles pour gagner de l’argent autour de ça. C’est la démarche que nous avons adopté pour Skype : vous ne pouvez plus faire payer pour des appels téléphoniques, donc il faut vendre des services complémentaires.
Propos recueillis par Cyril Fievet