L’emploi numérique : ouvrir la porte aux 900 000 jeunes a la dérive
Quel est l’objectif ?
« Aujourd’hui près de 1,9 millions de jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation. (…) Plus grave encore, environ la moitié de ces jeunes, soit 900 000 ne cherchent pas d’emploi, ils sont à la dérive ». Ainsi s’ouvre une note du Conseil d’analyse économique sur l’emploi des jeunes peu qualifié [1]
Dans le même temps, de nombreux emplois du secteur informatique, ou impliquant des compétences numériques, leur seraient accessibles, dans les services et dans l’industrie. Cette réalité est méconnue par les acteurs du conseil à l’orientation et l’emploi (missions locales, conseillers de pôle emploi, conseillers professionnels et scolaires) qui ont tendance à associer l’informatique exclusivement à de hauts niveaux de qualification.
L’ambition est que 100 000 emplois en trois ans soient occupés par des jeunes aujourd’hui à la dérive.
Dans la plupart des cas, pour réussir à ramener des jeunes vers l’emploi et les aider à y parvenir, il faudra des formations, des formations imaginatives, conçues en étroite relation entre les associations riches d’expériences réussies, l’aide à l’insertion, l’aide à l’emploi. La forte sensibilité à l’insertion des jeunes de nombreuses entreprises est un immense atout : l’urgence est grande. Des formations impliquant les entreprises et tout le système d’apprentissage sont nécessaires.
En commun, les recruteurs, les formateurs, et les conseillers doivent identifier les métiers et les profils recherchés, dans toute leur variété, et de mettre au point des stratégies adaptées : pour sensibiliser tous les conseillers et tuteurs, pour transformer l’image que les jeunes ont des études et du travail, pour encourager toutes les entreprises (industries numériques de service et industrielles, « à réseaux ») à des recrutements sans la barrière du diplôme et sur la foi des savoir-faire utiles, tout en accompagnant la découverte de l’emploi.
Pour que les métiers demandant des compétences numériques deviennent attractifs pour les jeunes, et que ces derniers s’engagent avec succès dans d’exigeants parcours de formation, il faut admettre que le chemin qui va d’une formation abandonnée à un emploi réussi est sinueux. Un dispositif d’accès à l’emploi numérique ciblant principalement les jeunes, et plus généralement les populations désavantagées face au numérique (filles, seniors, diversité), doit avoir de grandes ambitions :
- Changer le regard des conseillers (et de la société) sur les emplois demandant des compétences numériques.
- Encourager les entreprises à des expérimentations d’embauche de jeunes décrocheurs scolaires ;
- Offrir rapidement à des milliers de jeunes des places dans des formations
- Transformer l’éducation aux technologies numériques
A quoi reconnaît-on que l’on progresse ?
- L’insertion professionnelle de 100 000 jeunes en trois ans par des emplois dans les entreprises numériques
- L’utilisation réelle, par toutes les Universités, écoles et lycées professionnels, des voies d’accès existantes (VAE et VAP), sans condition de diplômes, selon les compétences, les réalisations et la motivation.
- La création massive de formations en alternance aux métiers demandant de l’informatique, avec l’aide des CFA et des organismes professionnels du secteur numérique (CIGREF, Syntec numérique, UIMM) et de recherche (INRIA)
- L’ouverture d’écoles numériques de la deuxième chance dans tous les départements, en coordination avec des entreprises (Groupes, ETI, PME) du secteur numérique
- La présence des jeunes dans le dispositif des entreprises du numérique, au sens large : entreprises des secteurs banque assurance « à réseaux », groupes de télécommunications, groupes du bâtiment, de l’énergie, de la métallurgie, ayant de vastes compétences dans le numérique, startups, et l’implication dans les actions d’e-inclusion des incubateurs et accélérateurs dédiés au numérique.
Pourquoi est-ce important ?
Remettre en selle ces 900 000 jeunes dits « à la dérive », est une condition de notre avenir commun.
Parallèlement, 450 000 emplois sont non pourvus en France dont 70 000 dans le secteur des industries métallurgiques, qui peine à attirer les jeunes. Parce que ces emplois ne sont pas jugés attractifs. Parce que les compétences sont rares dès que les savoir-faire combinent mécanique, robotique, informatique.
Il est capital de trouver les moyens de l’adéquation. En France en 15 ans le numérique est à l’origine de 700 000 emplois. D’ici 2015, 400 000 nouveaux emplois sont possibles. Qui les occupera ?
Le constat est que les modes de formation, de sélection, d’entrée dans l’emploi ne sont pas compris et pas acceptés par de nombreux jeunes, qui ne peuvent cependant rester à l’écart. Il faut renouer le dialogue entre les entreprises et les jeunes, inventer de nouveaux environnements d’éducation numérique.
L’objectif de l’e-inclusion rencontre l’objectif de la compétitivité. Parmi ces jeunes, nombreux sont ceux qui ont une pratique et des savoir-faire (de jeu, de community management, de développement, de création, d’expérimentation de logiciels).
De nombreux sujets sont porteurs d’emplois : le développement des industries créatives (réalité augmentée, 3D), les industries du Big data, les besoins en développement open source, dans la cyber sécurité, et tout simplement des emplois immédiatement disponibles dans le domaine de la gestion documentaire, de la maintenance, du développement. Comme le montre l’engouement suscité auprès des jeunes par l’école 42 de Xavier Niel (50000 candidatures), il y a de fortes attentes pour un nouveau design des formations et de l’accès à l’emploi.
Action N°1 : Changer le regard sur les emplois numériques et les profils « jeunes »
Responsables : Pôle emploi, CAP Emploi, Missions locales…
Pôle Emploi doit être au coeur de l’action, dans l’identification des publics cibles, dans la veille sur les nouveaux métiers, avec les missions locales et Cap Emploi. Il faut donner aux acteurs de l’emploi et de l’insertion une meilleure compréhension des métiers du numérique et des compétences nécessaires à ces métiers. Elles ont besoin pour cela de travailler en réseau avec des entreprises : cela passe par une meilleure connaissance des profils et aussi un meilleur signalement des offres.
Le ROME des compétences numériques doit être revu avec les professionnels de la filière, pour permettre aux conseillers d’être à jour sur les compétences techniques, relationnelles et culturelles nécessaires à l’exercice de ces métiers.
Il faut que l’information sur les opportunités et les besoins se fasse sans relâche, en temps réel. Un kit interactif destiné aux professionnels de l’emploi (Pôle Emploi, intérim, insertion) et actualisé par les professionnels du numérique aiderait ce travail en réseau et mettrait constamment en lumière les métiers du numérique spécialement attractifs pour les jeunes.
Vu l’urgence et l’importance des enjeux, Pôle emploi doit examiner la pertinence d’une filière d’agents dédiés à cette priorité et spécialisés dans les bassins d’emploi urbains. Des moyens et outils spécifiques doivent être mobilisés pour être au plus près du numérique et s’assurer que le numérique se développe en associant les publics en difficulté.
Un préalable est de faciliter le travail même des missions d’insertion en améliorant le design des services numériques nécessaires à ce travail en réseau.
Action N°2 : Changer les recrutements
Responsables : Fédérations professionnelles, métiers des ressources humaines et de la formation professionnelle, sites web de recherche d’emploi…
Il faut convaincre les recruteurs d’oser sortir du cadre institutionnel des diplômes et formations pour accepter d’employer des personnes dont le parcours fait qu’elles ont des compétences personnelles qui se révèlent utiles aux entreprises.
Des entreprises à réseaux (banques, assurances, …) expriment aujourd’hui leur préoccupation pour la e-inclusion.
Des réflexions existent pour que le digital serve l’insertion et la création d’emploi. Il faut donner un cadre à cette intention. Ces réseaux peuvent se mobiliser de différentes façons : rencontres, création d’équipes d’appui, réseaux d’entraide.
Pour aller plus loin que l’intention politique, cette démarche n’aura d’impact que si les entreprises s’engagent sur des volumes. Il faut impliquer des partenariats Etat, Régions, collectivités locales, Syntec numérique et Ecoles de la deuxième chance. Un réseau de CFA pourrait s’ouvrir à des métiers numériques pour lesquels il y a peu de formations. Des certifications capitalisables (et pas nécessairement exclusivement des diplômes) et des tuteurs en entreprise sécuriseraient ces embauches. Un tel projet pourrait être fédérateur, rapidement opérationnel et duplicable.
De son côté, l’éducation pourrait participer en formant et en recrutant des assistants numériques en support des enseignants et des jeunes élèves au niveau du collège dans le cadre des ateliers prévus par la réforme de Vincent Peillon.
Action N° 3 : Préparer l’emploi par des immersions et des incubations de projets
Responsables : CFA, clusters, incubateurs, AFPA, GRETA, OPCA…
Les populations éloignées du numérique sont aussi celles qui ont le plus besoin d’innovation sociale. Quand le numérique est investi dans la recherche d’activité et de projets professionnels pour résoudre des problèmes (social, santé, environnement, droits de l’homme), cela se révèle vecteur d’innovation. D’où l’intérêt de coupler l’insertion avec l’incubation de projets et l’immersion dans des entreprises d’accueil.
Les formations sont en effet face à un défi : répondre aux besoins du marché du travail d’une part, s’adapter à une palette de profils, d’aptitudes, de niveaux, de projets professionnels ; individualiser tout en formant au travail collectif ; former tout en préparant l’emploi.
De nouveaux styles de formation sont à inventer. Or créer des formations en alternance est lent et complexe : il faut simplifier la création de formations, multiplier les modalités (certification, modules), augmenter parallèlement les accès à des formations longues en alternance appuyées sur des partenariats effectifs. Au lieu d’accueillir systématiquement 1 à 2 stagiaires, les entreprises pourraient incuber un groupe projet ou parrainer une équipe installer dans un coworking space ou une pépinière.
Les grandes villes ont créé ces dernières années de nombreux incubateurs dédiés à accueillir l’innovation de jeunes porteurs de projet, souvent diplômés de grandes écoles. Il ne fait aucun doute que le chemin qui va d’une idée à un produit industriel est semé d’obstacles. Puisque les incubateurs, accélérateurs et pépinières ont fait aboutir de nombreux projets high tech, pourquoi ne pas les décliner pour des projets d’insertion et d’économie numérique sociale ? Les dispositifs de facilitation inventés pour stimuler l’innovation logicielle et la création de startups concernent aussi l’insertion. L’alternance, principe de l’apprentissage, peut être déclinée en des formes souples qui donnent une plus grande place à l’accompagnement et aux projets collectifs portés par des jeunes. Des incubateurs d’e-inclusion offrent de nouveaux environnements pour l’inclusion numérique :
- rénover l’apprentissage, en faisant converger dans de mêmes lieux technologies, emplois, insertion, création d’entreprise ;
- parier sur le potentiel de création des populations désavantagées, et actuellement sous-représentées dans le numérique (seniors, diversité, filles, handicaps) ;
- améliorer les alternances, renforcer les fils rouges du tutorat et des projets de création d‘activité ;
- concevoir des « formations » adaptées pour les populations autodidactes via le « e-learning » ou les serious games.
Comment financer cette priorité ?
- mobiliser les fonds de la formation continue
- créer des structures de gouvernance de projet et de financement rassemblant des communautés d’agglomération, les régions, des organismes professionnels (SYNTEC Numérique, FAFIEC, des entreprises privées) ;
- impliquer les plates-formes de crowdfunding ;
- inviter les fondations d’entreprises à soutenir de nouveaux environnements d’éducation numérique et d’incubation dans l’économie sociale et solidaire ;
- réformer l’apprentissage et le développer en étendant ses modèles, simplifier le montage et le financement de formations.