Aider les décideurs a embrasser les enjeux sociaux et politiques du numérique
Quel est l’objectif ?
- Amener les personnes en position de responsabilité, que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé, à prendre à bras le corps les questions d’inclusion numérique dans toute leur complexité. Ceci implique une compréhension des mutations à l’oeuvre dans nos sociétés numériques.
- Changer la vision et construire la littératie numérique des décideurs est un préalable indispensable pour qu’ils puissent enclencher les plans d’actions de transformation difficiles et profonds de leur entreprise ou de leur administration à l’ère du numérique.
- Ceci signifie de :
- Donner aux personnes en responsabilité publique, que ce soit au titre d’un mandat ou d’une activité professionnelle, les moyens de comprendre à la fois les aspects techniques des problèmes numériques rencontrés et leurs dimensions politiques, avec les controverses qui y sont attachées. Le numérique doit être sorti de sa technicité apparente pour être re-politisé.
- Permettre aux élus de saisir les opportunités de transformation sociale et économique liées à des politiques d’inclusion fondées sur le numérique, au-delà des politiques d’équipement et de déploiement du réseau.
- Aider les acteurs de l’entreprise (dirigeants, syndicalistes…), petite ou grande, à comprendre l’ensemble des mutations liées à révolution numérique, afin de penser et accompagner plutôt que subir le rôle du numérique dans la transformation de leur métier, de leur secteur d’activité, de l’organisation de l’entreprise, des rapports sociaux au sein de l’entreprise, de la relation client, etc.
Cette recommandation dépasse du strict cadre de l’e-inclusion pour concerner plus globalement à la « culture numérique » des décideurs publics et privés. Cette culture est une condition sine qua non d’une compréhension des questions plus spécifiques d’inclusion numérique. Or les acteurs de terrain, travaillant dans le champ de l’inclusion numérique, sont très nombreux à souligner son absence chez ces décideurs.
A quoi reconnaît-on que l’on progresse ?
- Des plans stratégiques pour des politiques d’inclusion numérique, systématisés dans les collectivités territoriales.
- Des modules de formation aux enjeux socio-politiques de la technique et de la science dans toutes les formations destinées à de futurs dirigeants.
- Des campagnes électorales qui mettront la littératie numérique au coeur de leurs programmes.
Pourquoi est-ce important ?
Pour ce qui est des élus et personnes en position de décision dans les administrations
- D’un point de vue général, nombre d’élus et de décideurs considèrent le numérique essentiellement comme une question technique et un secteur d’opportunités économiques. Mais on note un manque de compréhension globale de la mutation informationnelle et des transformations sociales, culturelles, qui l’accompagnent.
Ceci se traduit par :
- Une perception du numérique comme un enjeu trop technique, laissé à ce titre au conseil d’experts. Or on a vu dans le passé les élus devenir compétents sur bien d’autres sujets de haute technicité (urbanisme, santé publique, droit, finance, fiscalité, etc.).
- Une très faible présence dans les institutions, notamment au Parlement, d’élus capables de porter ces enjeux, ce qui entraine une absence de créativité politique (peu de propositions de lois au cours des 10 dernières années sur ces thèmes, en dehors de lois plutôt défensives) et une forte perméabilité aux plaidoyers d’acteurs qui défendent le fonctionnement du monde "pré numérique" plutôt qu’un accompagnement volontariste de la mutation.
- Une focalisation sur la communication numérique en ligne, perçue comme une chance « médiatique » par ceux qui doivent se soumettre aux urnes, au détriment d’autres aspects du numérique.
- Une difficulté à se saisir du numérique pour réorganiser des structures administratives en silos, pour les rendre plus « agiles », plus efficaces.
- Du point de vue de l’inclusion, le manque de culture numérique des décideurs se traduit souvent par :
- Une vision réductrice des enjeux d’inclusion numérique, les conduisant à considérer essentiellement des questions d’infrastructure réseau, de débit, d’équipement et d’inégalité territoriale.
- Une faible écoute sur ces sujets qui ne font pas l’objet de revendications sociales, les exclus du numérique étant trop souvent « silencieux ».
- Une vision simpliste des exclusions dues au numérique basée sur des clichés sociaux réducteurs.
- Une cécité aux opportunités politiques attachées au numérique susceptibles de contribuer le plus en amont possible, à une société plus inclusive.
- Une difficulté à percevoir le potentiel transformateur des innovations ascendantes, portées par des collectifs formels (associations, coopératives…) ou informels.
- Une incapacité à inclure le "levier" numérique dès la conception des politiques publiques, nationales ou territoriales, en particulier sociales.
Pour ce qui est des acteurs du monde de l’entreprise en position de décision
De leur côté, un grand nombre d’acteurs du monde de l’entreprise (en dehors des acteurs de l’économie informationnelle proprement dite), soit subissent l’arrivée du numérique dans leur secteur d’activité, soit n’y voient souvent qu’une opportunité de réduire des coûts en transformant uniquement les processus de production. Une des raisons principales de cet état de fait, est l’absence de compréhension par les décideurs des aspects techniques (un sens quasi "informatique") de l’entreprise, bien souvent laisses aux spécialistes, et vus comme un coût. Le numérique est donc parfois assimilé à ces mêmes problématiques techniques, alors même qu’il englobe un champs beaucoup plus vaste de transformation.
Le numérique peut dès lors être perçu au mieux comme accessoire, au pire comme menace, et dans les deux cas conduire les entreprises à rater le virage pourtant essentiel de la transformation numérique.
Les opportunités sont alors souvent vécues sur un mode défensif car elles perturbent les méthodes traditionnelles de management. Comme dans le secteur public, le décloisonnement des entités, le travail en mode plus coopératif que hiérarchique, le nouveau rôle du manager (qui ne détient plus le pouvoir par l’information), le télétravail… sont craints au lieu d’être apprivoisés.
Pour que le numérique puisse être mobilisé comme vecteur de développement collectif, la littératie numérique des décideurs est aussi essentielle que celle du reste de la population. Les décideurs ont besoin d’être accompagnés pour dépasser leur propre appréhension à l’égard de sujets dont souvent ils perçoivent plus la dimension technique, que l’intérêt économique, social et politique.
Comment faire ?
Action-clé N°1 : Donner une formation spécifique aux enjeux politiques, économiques, sociaux liés au numérique aux cadres administratifs et aux élus
Responsables : Etat, universités, ISFCT, CNFPT, ESEN, ENA, GRETA, etc.
Les cadres administratifs doivent recevoir pendant leurs études une formation à la culture numérique, qui comprenne notamment :
- Une compréhension des transformations sociales à l’oeuvre autour du numérique : changement des sociabilités, du rapport au temps, à l’espace, au corps, etc. ; pratiques collaboratives et distribuées, etc.
- Une présentation du fonctionnement de l’économie numérique : rôle des grands acteurs de l’internet et du web, économie de l’attention, marché de la donnée, cloud, Big data, production en P2P, fiscalité du numérique, etc.
- Une présentation des tendances émergentes en matière technologiques susceptibles d’avoir des effets sociétaux (ex : internet des objets, nanotechnologies communicantes, biologie de synthèse, etc.).
- Un décryptage des principaux enjeux de société liés au numérique et des controverses qui leur sont attachées : gouvernance de l’internet, neutralité du net, vie privée, propriété immatérielle, etc.
- Une présentation des politiques publiques :
- d’accompagnement des acteurs de l’inclusion et de l’innovation sociale (visite de lieux, auditions d’expériences hors de France, etc.) ;
- d’inclusion et de littératie comme outil de développement local,
- de mobilisation du numérique pour des logiques de développement durable.
Action N° 2 : mettre en place des référentiels en contenu ouvert comme support de ces formations
Responsables : Etat, universités, ISFCT, CNFPT, ESEN, IEP, ENA, GRETA etc. ]
La réalisation de ce référentiel et de ces contenus ouverts ferait l’objet d’appels d’offres permettant d’offrir un panel de modules réutilisables localement et en proximité par les associations et structures de formation. Une part sera faite dans ces contenus à des formations hybrides (en présentiel et à distance), mettant élus et décideurs en situation d’utiliser les outils collaboratifs de formation ouverte. Ce même référentiel et ces contenus pourraient être réutilisés et adaptés par tous les organismes qui proposent des formations aux élus, en lien avec le Conseil national de la formation des élus locaux (CNFEL), les associations d’élus, la Caisse des Dépôts etc.
Les organismes de formation des élus sont pour la plupart rattachés à des partis politiques. Pour l’heure, ils traitent des questions liées au numérique essentiellement sous deux angles : les infrastructures et la communication politique en ligne. Pour dépasser cette approche réductrice, une diffusion de contenus ouverts encouragerait ces organismes à s’en emparer, quitte à les adapter en fonction de la sensibilité propre à leur famille politique. Ce serait une manière indirecte de nourrir les débats sur ces thèmes, d’enrichir les débats et de leur donner une visibilité politique qui leur fait actuellement cruellement défaut.
Si l’on veut que ces formations se diffusent largement, notamment par le biais des différents organismes de formation des élus, il faut que ces contenus soient disponibles sous une licence autorisant largement leur réutilisation.
Action N°3 : Renforcer dans la formation des futurs cadres d’entreprises les réflexions sur la relation science, technologie et société
Responsables : État, universités, écoles d’ingénieurs, écoles de commerce, IEP etc.
Les écoles d’ingénieurs forment des experts dans des domaines techniques variés.
Peu d’entre elles intègrent un module permettant aux futurs diplômés de prendre du recul sur la relation entre science, technique et société. Or les technologies qu’ils produiront demain, notamment les technologies numériques, participent de la manière dont la société construit son « vivre ensemble ». Par exemple, le fait de développer des technologies qui contribuent à des logiques de surveillance (capteurs, drones, caméras, etc.) n’est pas neutre. Loin des positions normatives qui sont parfois promues par les industries qui vivent de ces innovations, les formations doivent inclure :
- Un module de décryptage des controverses liées à ces découvertes et ces innovations.
- Une réflexion sur le design des technologies qui participent d’une société plus inclusive.
Les écoles de commerce ont également un rôle à jouer pour préparer les managers à l’accompagnement au changement lié à l’introduction de technologies nouvelles, en particulier numériques, dans une entreprise. Au-delà de la mise en place des formations métiers ad hoc, il s’agit de les préparer à :
- Décrypter en amont les changements que cela induit dans l’organisation de l’entreprise
- Comprendre les impacts du numérique, dans la relation multicanale aux Clients, et ce que cela induit en matière de "nouvelle relation client"
- Tirer le meilleur parti de ces changements, par exemple, en qualité des coopérations, en simplification du travail et des décisions, en décloisonnement des services, en qualité de vie des salariés, etc.
Action N°4 : travailler avec les structures de mise en réseau des dirigeants pour développer les outils d’une culture numérique et de l’inclusion
[Responsables : Etat, CJDES, CJD, … etc.]
Parmi les structures qui participent à la mise en réseau des acteurs de dirigeants d’entreprises, certaines peuvent être naturellement plus sensibles aux questions de culture numérique en général et d’inclusion numérique en particulier. Nous pensons par exemple au Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) et au Centre des jeunes, des dirigeants, des acteurs de l’économie sociale (CJDES). Une action spécifique à destination de leurs membres doit être élaborée par les organisations volontaires, le cas échéant accompagnées par des organisations publiques compétentes.
Comment financer cette priorité ?
Des formations sont parfois déjà en place. Il faut faire évoluer ces programmes et les méthodes pédagogiques dans le sens de la recommandation. Il faut systématiser leur présence dans les formations des futurs ingénieurs, cadres, etc., et ce sans avoir attendre les stades ultimes des cursus.
Des enseignants disposent des compétences pour diffuser cette littératie numérique à destination des décideurs et futurs décideurs : enseignants en épistémologie des sciences, en sociologie de l’innovation, en sociologie des technologies, en STS, en management du changement, etc.