B.O. : Vous êtes un pionnier de la presse informatique d’après ce que j’ai vu, vous avez animé une revue qui s’appelait « Transfert .net » ’ Et puis bien sûr vous êtes intéressé par l’écriture papier, puisque vous avez collaboré à de nombreuses revues ; aujourd’hui, selon vous, peut-on imaginer un développement commun de la presse électronique et de la presse papier classique ’
En fait, il y a eu Transfert Magazine et puis il y a eu Transfert.net en ligne Je suis sûr que ce sont, de toute façon, deux publics différents : la presse électronique est extraordinaire pour abaisser des coûts et permettre de proposer des journaux à très bas prix, voire gratuits. Mais je pense que la presse papier a encore un énorme avenir devant elle, parce qu’il n’y a pas encore de façon plus souple de lire des journaux que du papier, encore rien de plus interactif, parce qu’on peut tourner les pages, retourner en arrière, repartir. On va 10 pages plus loin de façon très simple, en plus ça fait appel à une mémoire visuelle à laquelle les gens sont habitués, ils se souviennent qu’ils ont vu ça en haut à droite dans le journal, ils n’ont pas les mêmes réflexes sur l’écran.
La presse en ligne est un atout aussi pour vendre de la presse papier, pour faire connaître de la presse papier, ça permet par exemple de faire connaître un magazine papier à coût très très faible pour que les gens le découvrent et qu’ils décident si oui ou non ils ont envie de l’acheter ou de s’y abonner.
A Nautilus, moi, j’ai même un projet de faire une édition dans une autre langue (l’anglais), uniquement électronique, qui sera disponible en ligne, parce que je ne peux pas imprimer des milliers d’exemplaires, ça peut permettre de proposer pour les gens qui habitent loin et à qui je ne vais pas livrer un journal physique, d’avoir pour pas cher une version électronique. Alors certes ils ne la reçoivent que sur l’écran, mais plus ça va, plus les écrans sont de qualité, moins ils font mal aux yeux, plus ils sont grands et donc plus la lecture est agréable.
Et puis, je trouve qu’il y a beaucoup de gâchis de papier.
La presse électronique ça restera quand même une presse complémentaire, puisque rien ne remplacera le fait d’être calé dans un fauteuil ou dans un canapé, ou dans le train avec un journal...
Quand je dis rien ne remplacera, tant qu’on n’a pas trouvé autre chose ! c’est à dire qu’il y a des projets de papier numérique que je trouve très très intéressants qui ne sont pas vraiment prêts pour du magazine avant encore un moment, mais à mon avis qui sont à l’aube d’être prêt pour du quotidien, au Japon cette année je crois qu’il va y avoir des tests de quotidiens électroniques c’est à dire qui se rechargent sur du papier très fin qui est en fait un support électronique qui se recharge, c’est un truc incroyable ! C’est un support souple et numérisé, c’est assez étonnant et en fait c’est du film caoutchouc plastique très fin avec dedans des pôles moins plus et une petite encre noire qui circule et qui monte et qui descend selon les pôles.
B.O. :On va revenir plus directement à la revue Nautilus, globalement lorsque vous le présentez sur le site, cette revue, vous dites que la mer reste une grande inconnue, il y a encore beaucoup de choses à apprendre sur la mer ’
Il y a encore tout à apprendre sur la mer, je discutais il n’y a pas très longtemps avec des chercheurs qui plongeaient, des américains, qui me disaient qu’il est fabuleux de faire de la plongée profonde, plongée à 400, 500, 2.000 mètres, à chaque fois qu’on monte dans le sous-marin on sait qu’on va découvrir quelque chose de nouveau.
Ils ne plongeaient pas au large, ils plongeaient à 400 m des côtes américaines, à chaque fois qu’ils plongeaient, à 4 mètres autour du sous-marin américain ils découvraient une espèce qu’ils n’avaient jamais vue. C’est prodigieux !
La mer, c’est 72% de la surface du globe , on est allé avec des sous-marins pour voir en regardant quelques dizaines de km2, mais on est loin de savoir ce qu’il y a au fond. On estime que le nombre d’espèces inconnues dans l’océan est quelque part dans une fourchette située entre 10 et 100 millions d’espèces voilà, et je pourrais continuer comme ça à raconter tout ce qu’on ne sait pas. Parce, qu’en fait, on ne sait rien. On a envie d’aller sur Mars mais on ne sait pas vraiment ce qu’il y a dans nos océans, C’est la dernière frontière c’est la dernière zone d’exploration sur la planète et on va mettre très longtemps à la découvrir.
La dernière fois que quelqu’un a plongé au plus profond des océans, c’était en 1958, il y a eu une autre plongée en 1962, mais depuis on n’a pas replongé, enfin j’entends si profond, à 10-11 000 mètres.
B.O. : Vous avez appelé votre revue Nautilus, vous avez fait un numéro spécial sur Jules Verne, on sent que c’est un écrivain qui vous inspire... ’
Il y a quelques uns de ses livres qui m’ont inspiré, je ne suis pas fana de tous ses bouquins. Je ne trouve pas que ce soit un grand écrivain au niveau du style, mais j’ai été fasciné, depuis que je suis môme, par "20.000 lieues sous les mers". Ce qui est extraordinaires dans 20.000 lieues mais il a écrit aussi d’autres bouquins très bons, "Le Capitaine Hatteras" , sur les pôles, il y en a un certain nombre qui sont vraiment intéressants. Mais dans "20.000 lieues", il y a plein d’aspects qui sont passionnants, outre la personnalité de Nemo, si on regarde bien toute l’océanographie, l’océanologie quasiment moderne, est dans "20.000 lieues". Ils récoltent des plantes sous-marines pour se nourrir, ou pour s’habiller, ils ont de l’énergie thermique des mers, ils mangent évidemment du poisson, ils ont un gros souci de ne pas épuiser la ressource, de ne prélever que ce qu’il faut etc..., même s’il y a des erreurs, du style on croit que les baleines sont de monstrueuses bêtes très méchantes, mais enfin c’étaient les connaissances scientifiques de l’époque.
Mais, globalement, c’est bourré de choses qui sont primordiales pour l’océan et pour l’utilisation intelligente pour l’homme des ressources prodigieuses de l’océan, à condition qu’on sache ne pas les exploiter de façon extrême.
B.O. : "Alors justement ça me permet d’introduire la question suivante, votre engagement pour l’environnement et la nature, l’environnement maritime en particulier, si bénéfice il y a, vous vous engagez à verser un part à des organisations de protection de la nature en participant à l’opération "1% pour la Planète" ’"
C’est même pas s’il y a bénéfice, puisque je reverse quoi qu’il arrive 1% de mon chiffre d’affaires c’est-à-dire cette année c’est des pertes que je vais faire, et donc c’est de l’argent que je vais sortir en plus pour reverser au moins 1% de mon chiffres d’affaires à une association de l’environnement, une ou plusieurs.
En fait, je donne plus que ça puisque 1% c’est ce que je vais donner en cash, mais je donne d’autres choses parce que je donne des coups de main, je donne des pages de pub, je donne à des associations de défense de l’environnement, donc je ne sais pas combien j’aurai donné au bout mais j’aurai donné beaucoup plus que 1%. J’essaie de promouvoir, je fais de la communication sur cette opération en direction des entreprises « 1% pour la planète », il y a un vignoble bordelais qui s’y est joint , on espère avec les gens de Bordeaux convaincre d’autres gens...
B.O. :C’est plus répandu dans les pays anglo-saxons ’
C’est né aux Etats-Unis, bizarrement les américains qui sont les plus gros pollueurs ont aussi des associations de défense de l’environnement extrêmement fortes, parce qu’ils sont tellement nombreux, ils arrivent à une minorité chez eux c’est tout de suite beaucoup de monde et ils ont beaucoup de gens très impliqués et prêts à faire de gros efforts financiers. Ils sont donc assez efficaces , en plus ils ont un sens du lobbying. Ils donnent effectivement beaucoup d’argent. La marque Patagonia donne plusieurs millions de dollars tous les ans, mais ils ne sont pas les seuls ils sont plein maintenant. Cela arrive en Europe, il y a quelques anglais, quelques suédois et norvégiens et je crois qu’il y a un ou deux allemands, voilà et puis pour l’instant on est 2 français, mais j’espère qu’en France ça va se développer.
B.O. : "Votre revue est généraliste, elle n’est pas spécialisée, elle veut toucher à tous les domaines de la mer, mais est-ce que ce n’est pas un peu ambitieux ’"
Non, justement, c’est une revue grand public donc mon but, c’est de sensibiliser le grand public à la richesse de la mer, au côté merveilleux extraordinaire de ce qu’on découvre en mer et l’idée que la mer est à la fois un milieu magnifique et fascinant mais aussi très important pour notre avenir. Là, je parle autant en termes de ressources halieutiques que de capture de CO 2 par exemple, que d’impact sur le climat, etc..une fois que les gens auront compris cela, ils comprendront l’importance de protéger, c’est ça ma démarche.
Maintenant c’est une revue qui n’a a que 5 numéros par an , je ne veux pas arroser, faire 30 sujets, il y a trois à quatre thèmes développés par numéro, volontairement, pour pouvoir donner un peu de place et pouvoir sensibiliser les gens par de grandes photos par des textes etc... Je ne pense pas que ce soit trop ambitieux, c’est comme si vous disiez que Geo est trop ambitieux parce que il veut parer de la planète entière, je suis encore moins ambitieux qu’eux puisque j’ai écarté la terre, quoique je n’ai pas écarté la terre puisque je m’intéresse au rivage évidemment puisque Nautilus est sous titré « des océans et des hommes », il est impossible de parler des océans sans parler des hommes qui vivent de ou par les océans...
B.O. : "La photo est importante, vous prenez beaucoup de temps à choisir vos photos ’"
En fait le magazine repose sur un principe basé sur 2 pieds, c’est l’émotion d’un côté, la pédagogie de l’autre, c’est-à-dire que j’essaie de séduire le lecteur pour qu’il rentre dans le magazine par l’émotion. L’émotion vient de la photo et du texte quand c’est un reportage par exemple, et après derrière je vais essayer de mettre de la pédagogie. Une fois que le lecteur est accroché par une belle image il a envie d’en savoir un peu plus, parce que c’est ça qu’il voit en premier et après j’essaie de lui apprendre des choses, qu’il sorte du magazine en ayant appris quelque chose. C’est pour ça que quand on parle des pinnipèdes dans le n° 1 il y a de très belles photos de phoques ou d’otaries et puis derrière il y a les 34 espèces listées avec une image pour chacune en expliquant un minimum d’informations pour montrer la diversité prodigieuse et puis on explique ce qu’ils mangent, ce qu’ils boivent etc...
C’est pareil pour tous les thèmes , j’ai essayé de faire un mélange de très belles images et de la pédagogie derrière. Il faut d’abord que je leur donne envie par de l’image et puis en plus moi j’aime la photo, j’aime ça, je trouve que c’est aussi un des atouts du papier par rapport au Web, on peut donner des doubles pages photos qui donnent du plaisir quoi !
B.O. :"Le fait que le siège de Nautilus soit ici à la pointe de la Bretagne juste à côté de la mer d’Iroise, c’est une bonne chose ’ "
On pourait penser que ce serait plutôt un obstacle pour plein de choses mais c’est volontaire. Honnêtement, ce serait plus facile pour pas mal de choses d’être à Paris. Mais de toute façon je ne voulais plus, j’ai quitté Paris pour venir ici, en même temps ça permet par exemple de faire beaucoup de choses avec Océanopolis.
C’est un choix de vie, j’ai passé 17 ans à Paris, je voulais revenir ici parce que je suis brestois et puis je voulais voir la mer, là, je la vois en travaillant, je la vois de chez moi, je la vois du bureau et quand maintenant, je dois aller à Paris ça m’embête profondément.
Grâce à Internet ce n’est pas un inconvénient trop grand, je manque surement des choses à Paris mais bon je m’organise pour y aller de temps en temps, quand même, et puis je ne manque rien de primordial.
> Nautilus, le magazine est en kiosque, mais on peut s’abonner en ligne ou même, simplement, commander le dernier numéro (sans surcoût, frais de port inclus) sur le site www.nautilusmagazine.com
Couriel : christophe@oceansreporter.com
Site Web de Christophe Agnus