Bonjour à tout.es et à tous,
comme vous le savez le Café des sciences que nous avions prévu d’organiser au mois de mars, sur le transhumaniste a été annulé en raison de l’épidémie. Nous vous avions concocter une vraie petite soirée thématique avec de supers intervenants scientifiques. Nous avons donc décidé de remplacer cette soirée par une interview des intervenants que nous vous partageons à travers 2 publications. Vous découvrirez bien sûr, la présentation de nos intervenants, ainsi que les réponses aux questions posées par les membres de notre association.
Le thème de base que nous souhaitions aborder durant ce Café des sciences portait sur l’impact que les nouvelles technologies, dans le domaine médical par exemple, allaient avoir sur le futur.
Pour faire suite à notre première publication sur la retranscription de l’entretien que nous avions eu avec Didier COEURNELLE, vice-président de l’Association Française Transhumaniste, nous faisons place dans cet article à Marouane JAOUAT, doctorant en troisième année en sociologie à l’Université de Caen Normandie :
– “Doctorant en troisième en sociologie à l’Université de Caen Normandie sous la direction de Michelle DOBRE, je suis également membre d’un Groupement d’Intérêt Public (GIP) financé par le Ministère de la Justice travaillant sur “Transhumanisme(s) et Droit(s)”, co-dirigé par Emilie GAILLARD et Amandine CAYOL.
Je travaille sur le transhumanisme à partir de différents angles d’attaque. Ce qui motive le choix d’un tel sujet de thèse est ce changement de paradigme qui fait qu’on ne regarde plus le corps comme entité sacrée. La biologie est désacralisée, pis, diabolisée parce que source de maladies, de souffrances, de vieillesse et de mort. J’estimais donc qu’une étude sociologique de ce courant de pensée, appelé communément “transhumanisme” quoiqu’il porte en son sein nombre de divergences et d’écoles (singularitariens, libertariens, longévistes, etc.), pourrait être intéressant vu que le transhumanisme constitue un carrefour d’autres disciplines émergentes : nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle, pharmacologies, etc.
L’une des tâches importantes de mon travail est le défrichage terminologique. L’objectif est d’étudier ce qui sépare transhumanistes et bioconservateurs. Après quelques entretiens effectués auprès des personnes qui se revendiquent du Transhumanisme, force est de constater que la charge symbolique et le sens des mots utilisés comme “technologie”, “nature/artefact”, “homo sapiens”, “évolution” diffèrent d’un groupe à l’autre. La technologie qui peut être perçue comme “contre nature” pour les bio-conservateurs, peut-être considérée comme une “extension du corps humain” tout à fait naturelle pour les transhumanistes et bio-progressistes. Les exemples d’une telle divergence de sens sont légions.
Des entretiens avec des transhumanistes européens (français, espagnols, anglais) ont été effectués, transcrits et en cours d’analyse, dans le cadre du GIP.”
– Quels sont les mouvement libertarien, singularitarien, longéviste et leurs positionnements par rapport aux différentes catégories (nature, technologie, évolution) ? Didier Coeurnelle pourrait-il être défini comme un ” longéviste ” ?
– “Il me parait important d’utiliser le mot « Transhumanisme(s) » au pluriel, si le sens de ce qu’on entend par transhumanisme n’est pas défini en amont. En effet, il existe nombreuses écoles au sein même de ce qu’on appelle communément « Transhumanisme » :
=> Les Libertariens ont comme figure emblématique la Silicon Valley, dont la devise pourrait être « Business as usual ». En d’autre termes, à partir du moment où ça fait gagner de l’argent, une promotion colossale d’un projet aussi controversé que le « Transhumanisme » devient comme légitime. Les leaders de la Silicon Valley semblent avoir trouvé leur niche existentielle et (très) gratifiante. Cela ne veut pas dire qu’ils ne prennent pas le projet transhumaniste au sérieux, mais disont que ce n’est pas leur priorité à court terme. L’argent fait loi chez les Libertariens qui n’hésiteraient pas à supporter les autres courants transhumanistes pour y puiser « une légitimité scientifique provisoire ».
=> Le mouvement Singularitarien a pour figure emblématique le fameux Ray Kurzweil qui a donné au concept de la « Singularité » un autre sens. La Singularité est un terme en astrophysique décrivant ce qui se passe dans un trou noir, à savoir les lois de la physique traditionnelle deviennent caduques. Kurzweil, lui, utilise le terme Singularité pour décrire ce moment où l’homme et la machine, créée par l’homme, fusionnent. Cette coalescence de ce qui naît et de ce qui se fabrique. Pour Kurzweil, la chair, la biologie, le corps est le récipient de tous nos maux. Si nous pouvions déménager dans un autre corps qui ne serait pas biologique et qui ne deviendrait pas “vers de terre” après sa date de péremption, alors beaucoup de problèmes seraient résolus. Il a développé également une réflexion sur l’évolution, ou bien la convolution des humains et leurs machines, dans son livre « Humanité 2.0 » où il affirme que les réalités virtuelles que nous visualisons dans notre esprit, combinées avec nos modeste pouces a été suffisant pour créer une deuxième force de l’évolution nommée « la technologie ».
=> Les Longétivistes, eux, à l’instar de Didier Coeurnelle qui se définit lui-même comme un longéviste, ont pour priorité primordiale la longévité et le ralentissement du processus de vieillissement. Ils n’aspirent pas à l’immortalité, du moins pour l’instant, mais à l’amortalité : vivre plus longtemps en bonne santé. Et si la technologie permet, un jour, l’arrêt définitif du vieillissement, cela ne serait pas mal non plus. Leur position par rapport à la mort est celle du ” From Chance to Choice : Genetics and Justice “, comme le résume très bien le titre du livre co-écrit par Allen Buchanan, Dan W. Brock, Norman Daniels et Daniel Wikler. Autrement dit, la mort devrait être choisie et non subie. Ou comme le dit Alan Harrington dans son livre ” The Immortalist “ : « La mort est devenue une imposition sur la race humaine et ce n’est plus acceptable. » “
– Qu’est-ce que le transhumanisme selon vous ? A quel moment cette notion est-elle est apparue ?
– “Le Transhumanisme, comme néologisme, a été forgé en 1951 par le biologiste britannique Julian Huxley à l’occasion d’une conférence intitulée « Knowledge, Morality, and Destiny ». Le « Transhumanisme » est devenu populaire en 1957 dans le recueil de Huxley intitulé ” New Bottles for New Wine “. Cela dit, lors de notre entretien avec José Cordeiro dans le cadre du GIP, il s’est avéré que le mot « Transhumain » a été forgé bien avant par Dantes dans son ” Inferno “. Je dirais que le transhumanisme, comme philosophie de transcender les limites humaines et biologiques, existe depuis l’épopée de Gilgamesh (Ndlr. Gilgamesh est un héro antique de l’empire Sumérien), seule la possibilité technique de réaliser un tel projet devient de plus en plus réalisable. Je trouve que le transhumanisme est une utopie utile, très intéressante à étudier philosophiquement et sociologiquement, car elle permet de repenser ce que veut dire être humain dans un monde de plus en plus ” technologisé “.”
– D’après ce que vous avez pu observer, quel sont les principaux arguments que s’opposent les transhumanistes et les bioconservateur ?
– ” Les sujets de discorde entre transhumanistes et bio-conservateurs sont légions. Nous pouvons les résumer ainsi : la technique/technologie ou le fameux débat nature/culture ; le sens donné à l’évolution ; la définition de ce que veut dire être humain, pour n’en citer que trois exemples :
=> Le statut de la technique peut être considéré comme la cristallisation du clivage séparant les « deux clans ». Les bio-conservateurs pensent que la technique nous déshumanise. David Le Breton résume parfaitement cette pensée : en humanisant la machine, l’homme se réifie, se chosifie. De ce point de vue, la technique est froide, mécanique, non-humaine, déshumanisante. Les transhumanistes, eux, portent un autre regard sur la technique. Elle est pour eux intrinsèquement neutre, c’est l’usage qu’en on fait qui doit être sujet d’un jugement moral. David Chalmers et Andy Clark décrivent la technologie comme une sorte d’échafaudage, une extension de nos pensées, notre portée et notre vision. Mieux, la technique est ce qui nous a fait humain.
=> Les transhumanistes ont horreur de la sacralisation de l’évolution aussi. La sélection naturelle, pour eux, n’est plus d’actualité. Prenons une position médiane : Michel Puech, dans son livre “ Homo Sapiens Technologicus “ parle d’une co-évolution entre les humains et les artefacts créés par l’humain. Michel Serres, lui, parle d’une évolution exodarwinienne : les technologies auraient leur propre évolution « naturelle. » Edward O. Wilson affirme que « nous avons mis fin à la sélection naturelle et devons maintenant regarder au plus profond de nous-mêmes et décider de ce que nous voulons devenir ». L’idée derrière les thèses transhumanistes concernant l’évolution peut être résumée dans les mots de Nietzsche : ” l’homme est un pont et non une fin. “
=> Pour les bio-conservateurs, l’humain et son corps sont sacrés. Les hypothèses qui sous-tendent l’origine de cette sacralisation sont nombreuses ; un mélange socio-culturel et religieux qui a mis le corps humain biologique sur un piédestal. Ce qui s’est passé après la Shoah et l’eugénisme affreux a raffermi la conviction qu’il faut maintenir la sacralité du corps. Les Transhumanistes, désolés d’avoir fait allusion à l’eugénisme nazi, portent une lecture informationnelle du vivant : tout est code, tout est alphabet. L’ADN étant une suite d’A, C, G et T. Le séquençage du génome ouvre de nouveaux possibles et démontre que le corps est malléable. En témoignent des technologies récentes comme le Crispr Cas9 (Ndlr. enzyme permettant de modifier l’ADN). Être humain, c’est être Transhumain. Juan Enriquez parle de l’homo evolutis, l’espèce qui se transcende elle-même par elle-même.”
– Parmi les transhumanistes que vous avez interviewé, certains avaient-ils « moddé », « uprgradé », « augmenté » leurs corps (comme avec une boussole vibrante intégrée au corps, pour reprendre un exemple évoqué par Didier Coeurnelle) ?
– ” Malheureusement pas encore, mais c’est en cours. En France, avec ses lois de bioéthique interdisant toute altération du corps humain, cela rend le travail du terrain (interviews avec des personnes augmentées) plus dur, voire impossible d’effectuer, à quelques exceptions près.”
– Par rapport au GIP, vous avez des exemples notables de droits revendiqués par les transhumanistes ?
– “(Je préfère parler en mon nom, n’étant pas sûr si les membres du GIP seraient d’accord avec la diffusion des informations de leur travail encore inachevé).
Il faudrait préciser de quels transhumanistes parle-t-on. Les transhumanistes français sont des techno-progressistes adoptant des visions très pondérées par rapport aux transhumanistes américains par exemple qui se battent pour rendre la cryogénisation un droit à toute personne souhaitant être réanimée quand la technologie le permettra(it). Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas en France. Il serait intéressant d’interviewer Laurent Alexandre sur ce sujet.”
– Pour finir, et pour répondre à la thématique, dans quelle mesure les nouvelles technologies impacteront-t-elles le futur selon vous ?
– “Je pense que les nouvelles technologies impactent d’ores et déjà le présent. Nous pourrions paraphraser Marshall McLuhan en disant que « Le transhumaniste est celui qui sait le futur est le présent et qui fait tout ce qu’il peut pour faire rencontrer les deux temporalités ». Nombreux sont les exemples qui corroborent cette idée que les impacts radicaux des nouvelles technologies sont déjà d’actualité : le diagnostic pré-implantatoire, Crispr Cas9, le don de gamètes, la santé connectée et ses Big Data, la chirurgie esthétique, les robots-chirurgiens, etc.”
(Ndlr. Pour conclure cette première interview, voici un petit clin d’œil culturel et artistique, pour illustrer l’utilisation des nanotecnologies dans l’augmentation du corps humain : ORLAN
Nous tenons vivement à remercier Marouane JAOUAT pour sa disponibilité et sa grande amabilité pour participer à ce projet et jouer le jeu du question/réponse, ainsi que la Maison de la Recherche en Sciences Humaines de l’Université de Caen Normandie.
interview par Pierre BERGERET.
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