Rencontre avec Anaïg, bibliothécaire Jeux Vidéo dans l’équipe numérique de la médiathèque des Capucins à Brest.
Karine : Bonjour Anaïg. Merci d’avoir accepté cette interview pour doc@brest.
Tu es actuellement en poste aux Capucins où tu travailles en section jeux vidéo/numérique. Peux-tu retracer le parcours qui t’a conduite jusqu’à Brest ?
Après mon Bac, j’ai fait une Licence LEA puis un DUT Métiers du livre option Bibliothèque/Médiathèque à Bordeaux en deux ans. Ensuite, j’ai enchaîné avec une Licence Pro Bibliothèque. Durant cette année de formation, j’ai poursuivi mon apprentissage à la BDP d’Angers. Une fois la Licence en poche, j’ai cumulé les CDD en médiathèques au sein d’un réseau intercommunal. Ces différentes expériences furent très enrichissantes et complémentaires de mon apprentissage : je n’avais jusqu’alors qu’une vision parcellaire du fonctionnement en réseau. Une fois sur le terrain, j’ai pu appréhender les différences, les particularités inhérentes à chaque médiathèque. Leur fonctionnement varie sensiblement : selon la taille de la structure, l’éventuelle collaboration avec les bénévoles qui interviennent en médiathèque pour prêter main forte aux agents, le rôle des BDP dans les médiathèques de taille plus modeste …
Après un passage par la médiathèque de Châteaulin, j’ai postulé à Brest lors de l’ouverture des Capucins.
Avais-tu une appétence particulière pour les jeux vidéo ? Pour le numérique ? Ou tout simplement la curiosité et l’envie ?
Au cours de mes différents stages, j’avais travaillé sur tablettes et liseuses. Le sujet de mon mémoire de Licence Pro concernait le jeu en médiathèque. Candidater à ce poste s’inscrivait donc dans une continuité, une logique de parcours. Par ailleurs, l’apparition de nouveaux supports en médiathèque est un sujet qui a toujours attisé ma curiosité. Lorsque je consultais les offres de poste en médiathèque, j’avais observé que le numérique était une compétence très recherchée. J’ai alors développé mes connaissances, mes pratiques du numérique.
Quant aux jeux vidéo, j’y jouais ado.
D’aucuns doutent de la pertinence du jeu vidéo en médiathèque. Peux-tu nous donner des arguments justifiant leur place dans les collections ?
Il faut savoir que le jeu est la première industrie culturelle en France devant le cinéma. Plus de la moitié de la population française joue (ex : Candy crush !)
Les médiathèques remplissent, entre autres, une mission d’égalité de formation et d’accès aux loisirs et au développement culturel. Le jeu vidéo, le numérique répondent à ces missions. Le numérique est non seulement un support de formation (ex : Skilléos, Tout apprendre, que l’on trouve sur le portail des médiathèques de Brest) mais aussi un sujet de formation. Nous proposons régulièrement des ateliers sur différentes thématiques (ex : le codage). Ces ateliers remportent un vif succès auprès des usagers, ce sont des portes d’entrée vers l’accès au numérique. Tout le monde n’est pas forcément équipé : la médiathèque met à disposition des usagers le matériel et remplit ainsi sa mission d’égalité d’accès aux pratiques numériques. Rappelons également que depuis peu, les médiathèques de Brest proposent aux usagers de « louer » les services d’un bibliothécaire que ce soit pour résoudre un problème lié à l’utilisation de leur smartphone, de leur liseuse, les aider dans leur pratique de logiciels tels que Word.
Le jeu vidéo, quant à lui, est un vecteur de socialisation, c’est un support intergénérationnel et multiculturel. Il permet de casser l’image d’un lieu réservé à une élite, d’un temple dédié à la lecture. La demande du public est très forte. Tout comme les romans ont leur Goncourt, les jeux vidéo ont le prix Pégase, qui valorise l’aspect culturel, esthétique, pédagogique du jeu.
Quel est le public emprunteur ? Est-ce que ce sont uniquement des ados, des garçons et des hommes ou bien le public est-il plus éclectique ? Merci de mettre à mal les idées reçues si tel est le cas !
50% de ce public est composé de familles, 40% d’ados et 10% d’adultes.
Les parents accompagnent et jouent avec leurs enfants aux jeux auxquels ils jouaient plus jeunes. Et inversement : les enfants font découvrir leur univers aux parents. Mais il y a aussi des grands-parents qui viennent profiter de ce service avec leurs petits-enfants car ils ne sont pas équipés à la maison. Ce sont de vrais moments de partage.
De nombreux ados viennent jouer à la médiathèque, aussi bien des filles que des garçons mais on observe une majorité de garçons. Les stéréotypes de genre ont la vie dure (et pas que chez les ados) mais on voit de temps en temps des groupes de garçons jouer à Just Dance et des filles à fond sur les jeux de foot ou d’horreur.
La médiathèque leur offre la possibilité de tester les jeux, d’en profiter sans aucun jugement.
Nous avons également un casque de réalité virtuelle.
Quelles sont les animations que vous proposez autour des jeux vidéo ? Faites-vous des ponts entre cette collection et les autres ? De quelle manière ? La médiation autour de ce médium est-elle nécessaire ?
Les animations concernent principalement le département jeux. Voici un échantillon de ce que nous proposons aux usagers :
- Des tournois (foot, Just Dance, Mario Kart…)
- Une animation retrogaming est organisée une fois par mois. L’idée est de faire découvrir aux plus jeunes les jeux des années 80-90, ceux auxquels jouaient leurs parents et de leur montrer l’évolution des jeux, du graphisme, des techniques de jeu etc.
- Nous invitons les usagers à des sessions de découverte de jeux inconnus : nous déterminons une thématique souvent en lien avec les collections, avec les expositions du moment (ex : la Chine, la science) et sélectionnons des jeux. Les retours du public sont très positifs car ils découvrent des jeux vers lesquels ils ne seraient pas allés spontanément.
- Divers ateliers numériques autour de sujets tels que la création de jeux vidéo
- Des conférences, sur l’Histoire et les jeux vidéo ou encore la place des femmes dans l’univers du jeu vidéo avec l’intervention de programmeuses professionnelles. Ces interventions permettent de toucher un public différent, intéressé par des questions sociétales.
Communiquer sur les jeux vidéo n’est pas une nécessité puisque les usagers sont demandeurs. En revanche, la médiation est nécessaire afin de leur présenter la diversité des jeux, de les conduire hors des sentiers battus. Cette médiation se fait surtout lors de discussion, d’échange avec les joueurs. Depuis peu, la médiation se fait également via l’Opac.
Dernière question sur les jeux vidéo : est-ce que tu testes tous les jeux que vous proposez au public ? Es-tu une adversaire/partenaire redoutable ?
Nous ne testons pas l’ensemble des jeux que l’on achète, mais nous testons tous ceux qui sont disponibles sur place, sur nos consoles. Nous vérifions leur bon fonctionnement et prenons connaissance des modalités de jeu, du menu afin de pouvoir guider les usagers. Aux Capucins, nous donnons beaucoup de conseils techniques d’où la nécessité d’avoir testé les jeux au préalable.
Parfois, lors de ma pause déjeuner, je joue avec mes collègues ce qui me permet aussi de découvrir les jeux. Je peux être une adversaire redoutable sur les jeux de combat, de plate-forme ou de rythme mais je suis une piètre joueuse en course et en réflexion.
Le numérique révolutionne nos pratiques et le monde du livre n’y échappe pas. De quelle manière les médiathèques ont- elle dû s’adapter à ce nouveau support ?
Les médiathèques ont su s’adapter au numérique en mettant à disposition des usagers du matériel et des compétences. Concernant les compétences, il a fallu adopter une démarche collective car une seule personne spécialisée pour le pôle numérique ne suffisait pas. Il a donc fallu inclure les collègues afin de répondre au mieux aux besoins, aux attentes des usagers. Nous avons mis en place des formations en interne : nous avons formé nos collègues à des logiciels de mise en page tels que Word ou Excel, à la veille documentaire sur Facebook etc. Ceci dans le but de répondre de façon efficace aux questions des usagers.
On observe de nouvelles demandes des usagers concernant la vie quotidienne, les démarches administratives, pratiques de plus en plus répandues aujourd’hui.
Peux-tu nous dire en quelques mots quels sont les enjeux du numérique en médiathèque ?
Il s’agit d’aider les publics éloignés du numérique : les débutants en informatique, les seniors, les personnes ne parlant pas ou peu le français, les demandeurs d’emploi (une personne détachée du Service Emploi Insertion du Développement Economique de Brest Métropole accompagne les demandeurs d’emploi dans leurs démarches, du mardi au samedi de 14h à 17h). Les aider au quotidien car ils n’ont pas le matériel nécessaire, répondre à leurs demandes spécifiques. La formation des jeunes est également un enjeu majeur : leur apprendre à chercher une information, à juger de sa fiabilité, leur faire prendre conscience de certains risques. Quel que soit le public, nous tachons de faire de la prévention en les sensibilisant à la protection de leurs données, à l’empreinte numérique… Ce sont des questions sociétales, des préoccupations actuelles que nous retrouvons en médiathèque.
Le gouvernement est très impliqué dans le développement et l’accès au numérique pour le plus grand nombre (cf rapport Orsenna) : recevez-vous des subventions particulières pour développer cette pratique ?
Les Capucins ont été nommés « bibliothèque numérique de référence » : ce statut particulier nous permet d’obtenir des subventions de l’Etat et donc d’avoir du matériel à la pointe.
Les détenteurs du Pass’média jouissent d’un large choix de livres numériques. As-tu constaté une évolution croissante du prêt numérique ? Des pratiques numériques de manière générale ?
Le public emprunteur de livres numériques est plus restreint, touche une minorité d’usagers. Cependant, lors du confinement, nous avons observé un boom des demandes, nous avons touché de nouveaux publics notamment avec Skilleos et ToutApprendre. On ne peut que souhaiter que ces nouvelles pratiques, ces découvertes s’inscrivent dans le temps, se développent. L’éventail des possibilités offertes par ces deux sites quel que soit son âge, quel que soit la pratique/le loisir, le niveau de chacun permet de répondre aux attentes du plus grand nombre. Les usagers ignorent souvent ces services aussi nous redoublons d’efforts afin de renforcer la communication (campagne d’affichage, portail) : de temps à autre, un bibliothécaire déambule dans les Capucins flanqué d’un écran sur lequel il présente nos offres numériques.
Merci Anaïg de t’être prêtée au jeu de l’interview pour doc@brest : c’était passionnant et très instructif !
Merci à Karine Lemaire qui a mené l’interview et à Anaïg Treben d’avoir fait découvrir son métier.