Le numérique nous a-t-il aidé à bien vivre confinés ? C’est la question que se sont posés les chercheurs de Marsouin dans une enquête exceptionnelle intitulée « CAPUNI crise » réalisée pendant le premier confinement. Une enquête qui fait écho à l’enquête « CAPUNI » menée auprès des individus un an auparavant (2019).
Soutenue par la Région Bretagne et l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, « CAPUNI crise » a permis d’interroger 2317 Français (métropolitains).
Introduction
La crise de la Covid-19 et surtout les mesures déployées pour lutter contre la propagation de l’épidémie ont mis à rude épreuve le monde entrepreneurial et plus globalement l’organisation du travail au printemps 2020. Le confinement a entraîné le développement du travail à distance dans le cas où cela était possible et une cessation d’activité pour les salariés pratiquant des activités nécessitant une présence sur le lieu de travail. Le télétravail s’est développé en parallèle de l’apprivoisement des Technologies d’Information et de Communication (TIC) qui a permis une plus grande flexibilité du travail et amené l’idée de pouvoir travailler à n’importe quel endroit, n’importe quand (Taskin, 2006).
L’objectif de cette note est de révéler la perception des travailleurs confinés pour apporter des éléments de réponse sur la place et les apports du numérique comme appui au maintien de l’activité professionnelle pendant la période de confinement du printemps 2020. Elle fait suite au 4 pages qui concerne l’analyse du télétravail en Bretagne publiés sur le site Marsouin.
Entre cessation d’activités et télétravail, quelle répartition pendant le confinement ?
Parmi les français qui étaient en emploi avant le confinement, 37% ont cessé leur activité pendant le confinement et 35 % ont travaillé à temps complet en présentiel. Enfin, les 28% restant ont fait partie de l’expérimentation à grande échelle du travail à distance, à temps complet pour la très grande majorité (98%). Cette expérience de travail à distance est nouvelle pour 70% d’entre eux, ces individus n’avaient jamais ou très peu (moins d’une fois par mois) travaillé à distance avant. 16% d’entre eux pratiquaient régulièrement (au moins une fois par semaine) le télétravail. En 2017, un rapport de l’INSEE révélait qu’un peu plus de 4 % des personnes en emploi pratiquaient occasionnellement le télétravail (quelques jours ou demi-journées par mois) [1].
Figure 1 : Proportion des travailleurs en emploi avant le confinement répartis selon leur situation de travail pendant le confinement
La situation de travail des français en emploi avant le confinement
Exclus du télétravail, le numérique en cause ?
La possibilité de continuer son activité en période de confinement n’est pas possible pour de nombreuses professions.
Parmi ceux qui n’ont pas télétravaillé pendant le confinement, 51% ont cessé leur activité et 49% ont été travailler sur leur lieu de travail. Il ne semble pas que cette impossibilité de télétravailler soit liée au numérique car ces travailleurs sont très peu à ne pas avoir d’ordinateur à la maison (11% pour ceux qui ont cessé leur activité et 7% pour ceux qui travaille en présentiel), ou d’accès à internet, mais les données de l’enquête montrent qu’il y a peu de différence avec les télétravailleurs. Pour ceux qui ont cessé leur activité, était-ce pour raison de santé (personnes à risque dans le foyer), pour garde d’enfant, ou parce que l’entreprise a cessé toute activité ?
Qui sont les télétravailleurs français pendant la période de confinement ?
Pendant le confinement, de nombreux travailleurs se sont retrouvés projetés du jour au lendemain en situation de télétravail « non choisi » sans forcément avoir l’équipement et l’espace nécessaire à leur domicile. Par ailleurs, il s’agissait principalement de télétravail à temps plein (98%). Le télétravail en confinement n’est donc pas comparable au télétravail qui se pratique en temps normal dans un cadre légal et négocié entre l’employeur et le salarié pour lequel différents degrés et dénominations existent : le télétravail alternant à domicile (le plus répandu), le télétravail occasionnel à domicile, le télétravail décentralisé et le télétravail mobile ou nomade (Schampheleire et Martinez, 2006).
L’enquête CAPUNI crise révèle que 16% de personnes en emploi pratiquaient le télétravail au moins une fois par mois juste avant le confinement. S’agissant des télétravailleurs réguliers (toute les semaines), ils ne représentaient que 9% des travailleurs français. Quand il est nécessaire de travailler à la maison, l’environnement familial devient l’environnement de travail, il apparaît alors essentiel de l’aborder dans la description des télétravailleurs.
Du télétravail possible pour des travailleurs qualifiés et diplômés avec un niveau de vie confortable
Les professions intermédiaires sont surreprésentées (44 % des télétravailleurs), ainsi que les cadres et professions intellectuelles supérieures (27 % des télétravailleurs) alors que les employés ne constituent que 21% des télétravailleurs. En revanche les ouvriers qui à priori occupent des tâches qui ne se prêtent pas bien au télétravail représente 5% des télétravailleurs. Ces différences entre catégories socioprofessionnelles étaient déjà observées avant le confinement, le télétravail concerne les individus disposant d’une certaine autonomie dans leur travail (Schampheleire et Martinez, 2006).
La figure 2 illustre la répartition des individus en activité avant le confinement selon la manière dont leurs activités ont pu être adaptées pendant le confinement. Il montre une relation entre le niveau d’étude et le fait de télétravailler, plus le niveau d’étude est élevé, plus le télétravail est possible dans les activités des travailleurs. Cependant nous constatons que les Français de tous niveaux de diplôme ont pu avoir recours au télétravail en période de confinement. L’analyse des diplômes des télétravailleurs confirme l’approche par les Catégories Socio-Professionnelle (CSP).
Figure 2 : Proportion des travailleurs en emploi avant le confinement en télétravail ou non [2] pendant le confinement répartis selon leur niveau d’étude
Télétravail et environnement familial
Les télétravailleurs interrogés sont à 56% des femmes et 44% des hommes, en revanche d’après l’INSEE en 2017 [3], la tendance semble être inversée car 47% des télétravailleurs réguliers étaient des femmes contre 53% d’hommes. 22% de télétravailleurs confinés avaient déjà une expérience régulière de télétravail avant le confinement (au moins une fois par semaine). Pour quasiment les trois-quarts des télétravailleurs confinés, il s’agissait donc d’une première expérience non préparée et brutale (70%). En plus d’un travail « imposé » à la maison, près d’un tiers (35%) des télétravailleurs ont des enfants jeunes scolarisés (en maternelle, primaire ou collège) dont la présence permanente à la maison ne facilite pas les choses.
Ces derniers résultats renforcent l’idée que le télétravail confiné n’a pas été une expérience de télétravail normal pour de nombreux salariés qui ont dû jongler entre l’école à la maison et le partage des équipements ainsi que des connexions.
Le numérique révèle les écarts entre ceux qui ont pu continuer de travailler sur site, ceux qui ont dû cesser leurs activités et ceux qui ont pu continuer à télétravailler depuis leur domicile.
Le numérique a creusé les écarts entre ceux qui peuvent travailler grâce au numérique et ceux qui ne le peuvent pas. Nous avons vu que selon la CSP et le niveau de diplôme : pendant le confinement, le recours au numérique était plus ou moins facile. Il est aussi question d’équipement, d’accès à internet mais aussi d’activité qui ne se prête pas toujours au distanciel. Il faut toutefois relativiser l’impact du numérique sur ces résultats car certains Français ont dû cesser leur activité pour d’autres raisons telles que la garde d’enfant, pour raison de santé, ou pour fermeture de leur entreprise. Nous n’avons pas ces données. Bien que certains Français aient peut-être préféré pouvoir sortir de chez eux pendant le confinement, ceux qui ont perdu leur travail, cessé leur activité parce que le numérique ne leur permettait pas d’exercer leur activité professionnelle à distance ont été contraints de courir des risques sanitaires ou économiques plus important (cessation d’activité, chômage, chômage partiel). En revanche ce confinement a été pour beaucoup l’occasion de faire l’expérience du télétravail.
Quels outils de télétravail ?
Il est question ici de regarder de plus près l’accès au débit des télétravailleurs et les outils qu’ils ont utilisés, plus globalement l’accès et les outils numériques mobilisés pour travailler de chez soi.
Équipements, connexion et débit
Parmi tous les télétravailleurs en confinement seulement 3% des individus n’avaient pas d’ordinateur dans le foyer et 25% des télétravailleurs partagent leur ordinateur (dont 2% pour lesquels ça pose problème). Les télétravailleurs confinés déclarent pour 88% d’entre eux avoir un accès à haut débit (type ADSL) ou très haut débit (fibre optique) et 8% se sont servis de la 4G pour se connecter.
Figure 3 : Connexion des télétravailleurs en confinement
Une augmentation ressentie de la mobilisation des outils numériques pour travailler à distance avec ses collaborateurs ?
L’enquête a questionné les télétravailleurs sur leur utilisation des outils numériques pendant le confinement. La visioconférence a été très largement utilisée durant le confinement avec pour rôle de maintenir le lien social et de faciliter le travail en équipe (Boboc A., 2020). 62% des télétravailleurs ont participé à des visioconférences durant le confinement. Pour 13% d’entre eux cet usage était ponctuel au rythme d’une fois par semaine et 16% ont déclaré faire de la visioconférence tous les jours comme l’illustre le graphique ci-dessous. Nous avons cherché à savoir si l’usage intensif des visioconférences augmentait la volonté de déconnexion ou amplifiait les difficultés liées à la séparation entre la vie privée et professionnelle des individus mais les résultats montrent qu’ils n’ont pas plus besoin de se déconnecter que cela et ne rencontrent pas plus de difficultés à séparer leur vie professionnelle et leur vie privée que les autres.
Figure 4 : Les usages numériques des télétravailleurs confinés “Pendant le confinement, à quelle fréquence utilisez-vous les outils de visioconférence / outils collaboratifs ?”
Les outils de travail collaboratifs tels que Google Drive, les agendas partagés ou encore les espaces de sauvegarde partagés ont aussi été très utilisés pendant le confinement en complément de la visioconférence et des réseaux internes d’entreprise. 48% des télétravailleurs déclaraient se servir des outils collaboratifs au moins une fois par semaine. Toutefois, cet usage est assez clivant puisque 47% des télétravailleurs n’ont pas eu recours à ce type d’outil. Enfin, le courriel reste l’outil incontournable pour le télétravail. 83% des télétravailleurs confinés s’en servaient plusieurs fois par jour et 55% se déclaraient connectés en permanence à leur messagerie. Le courriel remplit un rôle de « couteau suisse » (Guesmi S., Raillet A., 2012). Son usage a fortement augmenté durant le confinement et particulièrement dans les deux premières semaines (Boboc A., 2020).
Par ailleurs la fréquence d’utilisation de ces outils a clairement augmenté d’après les télétravailleurs qui y ont eu recours. Ils sont 71% à ressentir cette augmentation pour l’utilisation des visioconférence, 65% pour les messageries instantanées et 49% pour les outils collaboratifs. Les télétravailleurs ont eu la sensation que la fréquence d’utilisation de ces outils numériques s’était intensifiée par rapport à leur fréquence habituelle.
Pour illustrer d’avantage l’intensification de l’utilisation des supports numérique dans le cadre du travail pendant le confinement, nous avons choisi de créer des profils de connexion des télétravailleurs en fonction de la fréquence d’utilisation des outils numériques de support au télétravail :
L’utilisation de la visio-conférence
L’utilisation des messageries instantanées
L’utilisation des outils collaboratifs
Ceci nous permet d’établir un classement des individus en fonction de l’intensité d’utilisation des différents supports numériques.
Encadré 1 : Création d’un profil des usages des outils numériques des télétravailleurs selon la fréquence d’utilisation
Pour calculer le profil d’usage numérique des télétravailleurs, nous avons codé chaque fréquence comme suit :
Le profil de l’individu varie alors de 0 à 9, s’il n’utilise jamais l’un des supports numériques proposés (visioconférence, messagerie instantanée et outils collaboratifs) alors le score est de 0 et si l’individu utilise tous ces outils tous les jours alors son score est de 9. Ainsi, le profil pour une utilisation moyenne de chaque outil est de 4,5.
Figure 5 : Représentation des télétravailleurs confinés selon les scores liés à la fréquence d’utilisation de l’ensemble des outils numériques (visioconférence, messagerie instantanée et outils collaboratifs)
Ce graphique représente l’ensemble des télétravailleurs répartis par score lié à la fréquence des usages des outils numériques. Nous pouvons voir que près de 23% des télétravailleurs n’utilisent aucun outils numérique (mail, visioconférence, outils collaboratifs tels que drive, etc.,) [4].
Cette illustration montre que la plupart des télétravailleurs n’utilisent pas tous les outils aussi souvent que l’on pouvait le penser. En dépit d’une forte augmentation de l’utilisation des outils numériques pendant le confinement, ce graphique montre que 50% de la population se situe en dessous de la moyenne de la moyenne générale (4,5). Ainsi la moitié de la population des télétravailleurs enquêtés utilise tous les outils un peu ou l’un des trois outils de manière intense et régulière. L’autre moitié de la population quant à elle, utilise de manière plus intensive les différents outils numériques pour travailler avec ses collaborateurs. Par ailleurs, un quart des télétravailleurs ont un score de 0 ou 1, cette partie des télétravailleurs n’utilisent jamais aucun des outils ou un seul ponctuellement. À l’inverse, un autre quart des télétravailleurs a un score supérieur à 7 ce qui signifie qu’ils utilisent tous les outils plusieurs fois par semaine.
Par conséquent, cette enquête montre d’une part qu’il y a eu une augmentation importante de l’utilisation de certains outils numériques tels que la visioconférence, la messagerie instantanée ainsi que le recours aux espaces numériques de travail partagés mais toute raison gardée cette augmentation n’a pas été aussi importante pour tous les télétravailleurs enquêtés pendant le confinement. Néanmoins, cela pose la question des conséquences d’une augmentation des outils numériques énergivores sur la pollution numérique. Une question qu’il pourrait être intéressant d’étayer.
Des télétravailleurs confinés satisfaits ?
• Compétences numériques augmentées
Parmi les télétravailleurs confinés qui faisaient déjà du télétravail, 17% déclarent avoir progressé dans leurs usages du numérique. C’est encore plus prononcé pour ceux qui se sont retrouvés projetés en télétravail (ceux qui n’en faisaient quasiment pas ou 1 fois par mois) : 36% déclarent avoir progressé. Cette mise en télétravail « forcé » a peut-être pu permettre de réduire les écarts en termes de compétence numérique entre les habitués du télétravail et ceux qui n’en pratiquaient pas.
• Perception et efficacité au travail
Le graphique ci-dessous illustre le ressenti des travailleurs sur leur efficacité en télétravail au regard de leur situation de travail habituelle. 38% des télétravailleurs se sont sentis moins efficaces en télétravail par rapport à leur situation de travail avant le confinement. Est-ce lié au télétravail exigé à 100% ou au confinement ? 29% se sont déclarés plus efficaces pendant la période de confinement. Ce résultat peut s’expliquer par les multiples difficultés d’ordre technique, organisationnel et économique rencontrées par l’entreprise (ou du moins par l’équipe dans laquelle est rattaché le salarié), mais aussi par l’environnement du télétravailleur (problème de qualité de la connexion et d’équipements, pas de pièce dédiée pour télétravailler, enfants à la maison, …).
Figure 6 : Les perceptions des télétravailleurs sur leur efficacité en télétravail. “Depuis le confinement, avez-vous l’impression d’être plus/aussi/moins efficace qu’avant ?”
Il faut toutefois tempérer ce résultat, car 33% des salariés se sont sentis autant efficaces en télétravail confiné qu’habituellement. Ainsi une grande majorité (62%) de télétravailleur confiné s’est sentie au moins aussi efficace qu’avant si ce n’est plus. Les perceptions d’efficacité au travail peuvent être différentes selon que le salarié est dans son entreprise ou à son domicile et il n’est pas toujours facile pour un salarié de bien apprécier son efficacité en télétravail (Aguilera et alii., 2016). En plus des risques de burn-out, le télétravailleur confiné peut aussi être sujet à un risque de bore-out, c’est-à-dire de démission, de baisse ou de disparition de la motivation (Durieux 2020).
• Séparation vie privée vie professionnelle
La séparation entre vie professionnelle et vie privée n’est pas toujours facile dans un contexte de télétravail, qui plus est, confiné (et pour beaucoup non choisi), et peut avoir une incidence sur le bien-être des télétravailleurs. 44% des télétravailleurs confinés ont déclaré ne pas avoir réussi à bien séparer la sphère privée/familiale et la sphère professionnelle. Donc une majorité (56%) déclare l’avoir réussi (plutôt ou tout à fait).
Figure 7 : Les perceptions des télétravailleurs sur la séparation vie pro/vie perso
• Niveau de vie et angoisse liée à la Covid-19 des travailleurs pendant le confinement
En ce qui concerne la perception de la vie, 10% des travailleurs en présentiel trouve la vie difficile. Pour ceux qui ont cessé leur activité pendant le confinement ils sont 13% contre 3% des personnes en télétravail a trouvé la vie difficile. L’enquête montre que les individus ayant continué de travailler en télétravail pendant le confinement estiment pour 69% d’entre eux avoir un niveau de vie confortable voire très confortable contre en moyenne 43% des individus de l’échantillon total.
44% des travailleurs, quelle que soit leur situation de travail, ont peur de tomber malade à cause de la Covid-19 (42% pour les travailleurs qui ont continué de se rendre sur le lieu de travail). D’après l’enquête, il ne semble donc pas que le fait de continuer ou non à aller sur son lieu de travail ait influer sur la peur de tomber malade.
Le télétravail, quel avenir ?
40% des télétravailleurs confinés souhaitent continuer à faire du télétravail sur une base régulière (plusieurs fois par mois). Ce chiffre est bien supérieur au pourcentage de travailleur pratiquant le télétravail régulièrement avant mars 2020. Le confinement a donc permis d’initier et de convertir de nombreux salariés à cette forme de travail.
Toutefois, 44% des télétravailleurs confinés déclarent ne pas vouloir continuer à faire du télétravail. Sur les personnes qui veulent continuer le télétravail (56%), 11% veulent diminuer la fréquence d’avant confinement, 62% veulent maintenir le même rythme de télétravail qu’avant le confinement tandis que 27% souhaitent augmenter la fréquence. Parmi ceux qui n’en avait jamais fait avant, 30% veulent en refaire régulièrement, 64% ne veulent pas en refaire après le confinement.
Les femmes rejettent plus souvent le télétravail que les hommes ?
Ce rejet du télétravail est plus prononcé chez les femmes : 57% d’entre elles ne souhaitant pas prolonger l’expérience. En comparaison les hommes ne sont que 30% dans cette situation.
La volonté de continuer en télétravail ou non est différente selon le sexe des personnes interrogées. Néanmoins le fort rejet exprimé par les femmes relève probablement d’un fait sociétal plus global. Beaucoup associent cette tendance au rejet du télétravail par les femmes, à la persistance des supposés rôles sociaux genrés. Les femmes ayant encore majoritairement à leur charge les tâches ménagères et/ou l’éducation des enfants dans les couples hétérosexuels. L’expérience de télétravail confiné a pu être une épreuve difficile pour certaines femmes [5]. Ces réflexions sont liées aux questions de genre et non au sexe des individus, il convient de souligner que la variable utilisée dans cette enquête est celle du sexe. De nombreux travaux existent sur les stéréotypes liés aux genres (Guionnet, Neveu, 2004).
Toutes choses égales par ailleurs, les régressions ont montré que la variable du sexe restait significative dans le souhait de vouloir continuer à faire du télétravail à l’avenir.
Figure 8 : Les souhaits des télétravailleurs confinés pour l’après confinement. “Après la sortie du confinement, à la rentrée prochaine de septembre, demanderez-vous à faire du télétravail ?”
Les réponses sont aussi très différentes selon les catégories socio-professionnelles. 55% des cadres et professions intellectuelles supérieures souhaitent continuer à faire du télétravail régulier (plusieurs fois par mois), contre 35% chez les non cadres.
Là encore, les résultats de la régression présentée ci-après confirment cette tendance toutes choses égales par ailleurs.
Figure 9 : Les souhaits de fréquence des télétravailleurs confinés qui souhaitent faire du télétravail pour l’après confinement “Après la sortie du confinement, à la rentrée prochaine de septembre, demanderez-vous à faire du télétravail ?
Pistes de compréhension influençant le choix de continuer en télétravail ou non
Comment expliquer le fait de demander à poursuivre en télétravail ? Pour comprendre les facteurs influençant le fait de vouloir ou non continuer en télétravail, un travail de régression a été réalisé. La variable expliquée est « je souhaite continuer à télétravailler plusieurs fois par mois ou toutes les semaines ». Les résultats montrent que le fait d’être un homme, cadre, ayant déjà eu une expérience de télétravail dans des conditions confortables sont les éléments pouvant expliquer la volonté de poursuivre en télétravail. En revanche, contrairement à ce que nous a révélé l’échantillon breton, avoir ou non des enfants n’influence pas cette volonté exprimée par les individus interrogés. Ces résultats sont à mettre en perspectives avec le contexte du premier confinement au moment de la passation du questionnaire, car ce sont bien là des perceptions qui ont fait l’objet de l’étude, ces perceptions pourraient aujourd’hui être rediscutées.
Néanmoins, retenons que le ressenti sur l’efficacité du travail accompli en télétravail ainsi que sur la qualité de vie plus ou moins confortable des individus influencent de manière certaine les volontés futures concernant la demande de télétravail. L’expérience du télétravail forcé met en exergue et accentue certaines inégalités liées au numérique. L’enquête souligne qu’une majorité des individus « projetés » en télétravail étaient bien équipés mais il reste une part d’individus ne disposant que d’un réseau 4G, peu sécurisé pour les échanges de données (8%).
Le numérique a permis à certains travailleurs de continuer leur activité mais il a aussi pu être source de sur-connexion, 65% des télétravailleurs estiment être plus connectés depuis le confinement. Ceci n’est peut-être pas seulement dû au fait de travailler de chez soi mais plus globalement au fait de rester chez soi. Ainsi 44% des télétravailleurs se connectent à leur boite mail moins d’une demie heure après le réveil.
Bibliographie
Aguilera, A., Lethiais, V., Rallet, A., Proulhac, L. (2016). Le télétravail, un objet sans désir ?. Revue d’Économie Régionale & Urbaine, février(1), 245-266.
Barhoumi M., Jonchery A., Le Minez S., Lombardo P, Mainaud T., Pailhé A., Pollak C., Raynaud E., Solaz A., (2020), “Les inégalités sociales à l’épreuve de la crise sanitaire : un bilan du premier confinement”, Insee Références, Vue d’ensemble, édition 2020. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952
Boboc, A. (2020) La frontière entre vie privée et vie professionnelle à l’épreuve du confinement : télétravail et déconnexion", La Revue des Conditions de Travail, n°10, juillet.
Durieux, E. (2020) Télétravail et confinement, vers une coexistence vivable. Rapport Technique Ministère de l’intérieur. hal-02560409
Guesmi, S., Rallet, A. (2012), « Web 2.0 et outils de coordination décentralisée. Un entrelacement des sphères privées et professionnelles », Revue française de gestion, vol. 5, n° 224, p. 139-151
Guionnet C., Neveu E., 2004, Féminin/Masculin. Sociologie du genre, Paris, Armand Colin (Collection U), 288 p.
Schampheleire JD, Martinez E (2006). Régulation du télétravail et dialogue social. Le cas de la Belgique. Revue Interventions économiques Papers in Political Economy 34.
Taskin L., « Télétravail : Les enjeux de la déspatialisation pour le management humain », Revue Interventions économiques, Revue Interventions économiques [En ligne],Vol n° 34 | 2006. http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/680
Encadré sur l’enquête CAPUNI Crise
L’enquête CAPUNI Crise a été réalisée pour le compte du Groupement d’Intérêt Scientifique Marsouin. Soutenue par la Région Bretagne et l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, « CAPUNI crise » a permis d’interroger par téléphone un échantillon représentatif de la population nationale (2 317 individus). La représentativité est assurée par la méthode des quotas sur les critères d’âge, de sexe, de catégorie socioprofessionnelle, de taille d’unité urbaine de résidence et de département.
L’enquête a porté sur les équipements et usages numériques avant et pendant le confinement, ainsi que sur l’école à la maison et le télétravail.
Pour plus d’informations, https://www.marsouin.org/article1214.html.
Le Groupement d’Intérêt Scientifique Marsouin a été créé en 2002 à l’initiative du Conseil Régional de Bretagne. Il rassemble les équipes de recherche en sciences humaines et sociales des quatre universités bretonnes et de trois grandes écoles, soit 18 laboratoires, qui travaillent sur les usages et transformations numériques.
Crédit photo : gis_marsouin
[2] “Pas de télétravail” regroupe ceux qui ont travaillé sur leur lieu de travail et ceux qui ont cessé leur activité pendant le confinement
[4] Les quartiles divisent les télétravailleurs confinés en 4. Chaque quartile représente 25% des télétravailleurs. Ainsi 25 % des TT se situent à un score de 0 à 1. Le quart suivant se situe à un score de 1 à 4, puis de 4 à 7, et le dernier quartile de 7 à 9.
[5] INSEE : Les inégalités sociales à l’épreuve de la crise sanitaire : un bilan du premier confinement. Meriam Barhoumi (Depp), Anne Jonchery, Philippe Lombardo (Deps), Sylvie Le Minez, Thierry Mainaud, Émilie Raynaud (Insee), Ariane Pailhé, Anne Solaz (Ined), Catherine Pollak (Drees) : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952