Prendre le temps de se reconnecter à la nature, transcription de l’interview de Gatien Bataille par Radio U

Durant le 11 ème Forum des usages coopératifs qui s’est déroulé à Brest du 2 au 4 juillet 2024, Radio U a réalisé une dizaine d’interviews aujourd’hui mises en ligne . Pour faciliter la diffusion de ces contributions au Forum sur les "pas de côté", j’ai entrepris de les retranscrire (avec les limites du passage d’un oral à l’écrit).

Voici la transcription de l’interview de Gatien Bataille par Radio U autour de la conférence gesticulée "Comment les GAFAM (and cie) m’ont rendu aveugle et sourd" qu’il a donné au Forum.

Prendre le temps de se reconnecter à la nature, transcription de l’interview de Gatien Bataille par Radio U

Voici la transcription légèrement revue, réalisée avec l’aide du logiciel libre Scribe et en cours de validation par la personne interviewée

Introduction par Radio U

Du 2 au 4 juillet 2024, s ’est déroulé le Forum des Usages Coopératifs à Brest. Pour cette 11e édition, organisée par le service médiations et usages numériques de la ville de Brest, c’est sous le thème des pas de côté que les participants et participantes ont abordé différentes manières de coopérer sur des sujets d’actualité et de société.

Rencontres, échanges, forums ouverts, conférences ou encore ateliers, Radio U a suivi plusieurs acteurs et actrices qui ont fait vivre ces journées.

Je m’appelle Gatien Bataille et je suis coordinateur dans un centre d’éducation à l’environnement en Wallonie, en Belgique.

Radio U : Quelles sont tes relations avec le forum des usages coopératifs ?

Cela a commencé il y a un certain temps, il y a quatorze ans et c’est la septième fois que je viens au Forum des usages coopératifs. Cela a été pour moi une grande source d’inspiration, parce que j’ai des activités en Belgique, qui sont assez semblables à ce qui se pratique ici au forum. Et j’ai très rapidement eu envie de de transférer ce que je vivais au Forum en Belgique. Aussi, le forum a été une source d’inspiration pour les rencontres co-construire, qui ont lieu tous les deux ans à Tournai, les années impaires en alternance du Forum et les prochaines auront lieu du 2 au 4 juillet 2025.

Radio U : Alors, tu as animé une conférence gesticulée, est-ce que tu peux nous donner une définition de la conférence gesticulée ?

C’est une conférence qui va mélanger savoirs froids, des choses qu’on a appris, qu’on a lu, qu’on a écouté, qu’on a donc envie de transmettre et des savoirs chauds. Les savoirs chauds, ce sont des anecdotes, ce que j’ai vécu dans ma vie et qui sont en lien avec le sujet dont j’ai envie de parler, le fameux savoir froid. L’intérêt de faire ça c’est qu’en général, on parle de soi plutôt en posture basse et là on essaie de se mettre beaucoup plus en lien avec le le public. C’est plus facile et plus amusant à faire, c’est beaucoup moins descendant. Il y a moins de de connaissances à savoir, parce que je parle simplement de moi et je n’ai pas besoin de connaître tout mon texte. L’intérêt des conférences gesticulées, c’est cet apport de savoir chaud, les anecdotes, qui permettent de faire du lien avec ce que vit le public qui peut se retrouver plus facilement dans ce qu’on dit.

Radio U : Il y a toujours sûrement un un rapport de quelqu’un qui a les connaissances et le public, qui apprend les chose``s, mais il est peut-être un peu plus réduit ?

Complètement, là le fait d’amener du savoir chaud établit ce lien, beaucoup plus facilement avec le public. Si je ne faisais que de l’apport froid, classique descendant, je serais le sachant et ils m’écouteraient, là pour le coup, en amenant de l’aide de l’anecdote et souvent de l’anecdote qui qui me met en mauvaise posture, il y a beaucoup plus de lien qui peut se créer et donc casser cette espèce de de posture sachant-sachés.

Radio U : Est ce qu’il peut y avoir un peu de participatif, justement, dans ce genre de de conférences ?

Oui, complètement, l’idée, c’est à la fois, de faire du lien avec ses anecdotes, mais c’est aussi de l’éducation populaire : aller chercher le savoir qui se trouve dans la salle pour montrer que s’il y a un peu de savoir sur la scène, il y a aussi beaucoup de savoirs dans la salle. Donc on peut amener toutes les techniques de participation et simplement faire des liens entre les personnes qui sont présentes.

Radio U Alors, va parler du contenu de cette conférence. Le titre, c’était : « comment les GAFAMm’ont rendu sourd et aveugle » Est-ce que tu peux nous en parler ?

voir ici le diaporama de la conférence

On aurait aussi pu dire : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs », ou « le vivant s’effondre, et nous regardons nos écrans ». En fait le sujet de cette conférence est de dire qu’il y a beaucoup de choses qui s’effondrent autour de nous et les choses n’existent que parce qu’on leur prête attention. ; malheureusement, toute notre attention est captée par les écrans et notamment nos smartphones ; nos portables.

Pour moi, il y avait un sujet, une colère, je suis en colère par rapport à ça parce que je suis biologiste, océanographe, je vois le monde et le vivant s’effondrer, je me rends compte que moi-même, je ne parviens pas vraiment à entendre ce vivant qui s’effondre, parce que moi aussi, je suis piégé dans ces outils numériques. J’avais envie de mettre ça sur la table en racontant que, ben voilà, on ne le voit pas parce qu’on n’y prête pas attention.

On se rend compte que pour y prêter attention, on a besoin de temps. Mais ça, c’est aussi un truc sur lequel on nous avons des difficultés. Nous, on va dire hommes postmodernes, on est prisonnier du temps. On n’en a pas, alors qu’en fait, on n’en a jamais eu autant. Et quand on se rend compte qu’on a du temps, en plus de ça, il est capté par des outils numériques. Voilà, c’était de ça que je voulais parler dans cette conférence.

Radio U : Comment est-ce qu’on peut faire pour s’en sortir ? sortir de ces GAFAM, sortir un petit peu la tête du smartphone.

Quoi qu’il arrive, il faudra prendre le temps, il faut forcément s’arrêter, parce que sinon on est pris dans une petite roue qui tourne. Le seul moyen de s’arrêter, c’est qu’il y ait un bug, un bug dans votre smartphone et alors vous dites : qu’est ce qui se passe ? Vous levez les yeux et là vous êtes obligé de regarder ce qui est autour de vous.

Malheureusement, il y a de moins en moins de bug, ils sont très bien foutus avec de moins en moins de bug. Donc, un : prendre conscience qu’on a du temps, deux : se rendre compte que ce temps est capté, c’est une science qui s’appelle la captologie : ça dit vraiment ce que ça veut dire. Et, une fois qu’on en a pris conscience, il y a effectivement toute une série de petites astuces qu’on peut mettre en place sur son téléphone ou sur son ordinateur pour éviter, par exemple, de recevoir sans cesse des notifications, ne pas tomber dans des réseaux sociaux qui sont faits pour vous capturer. Il y a plein d’outils qui permettent de sortir de ces GAFAM, parce que ces GAFAM sont devenus les spécialistes de la captologie. IL y a des outils, souvent libres qui permettent de faire la même chose, mais sans ce pouvoir d’addiction et de captologie.

Et puis, après, il y a un énorme besoin de se reconnecter tout simplement à la nature, donc de prêter attention, parce que, encore une fois, si on n’y prête pas attention, cela n’existe pas. Donc, une nécessité énorme de se reconnecter à la beauté de la nature, simplement déjà en la regardant, en allant se promener, c’est déjà un premier pas de reconnexion à la nature.

Et une fois que cette attention est reportée sur la nature, alors là, on peut se rendre compte de ce qui s’y passe et des catastrophes qui s’y déroulent, et potentiellement, alors réfléchir et agir.

Radio U : pour se faire un peu l’avocat du diable est ce qu’on peut voir des choses positives, dans les Gafam ?

Ce sont des outils très efficaces, ergonomiques, hyper bons, si on veut fonctionner en mode efficace, c’est parfait. Un des constats que je fais dans la conférence gesticulée, c’est qu’on est bloqué dans un monde de la performance, donc efficacité, efficacité ! Toujours plus, dans toujours moins de temps et avec ce qui permet ce toujours plus dans toujours moins de temps. Les GAFAM ont été très, très bons pour nous proposer des outils pour faire toujours plus, et le problème, c’est que le le toujours plus amène forcément les humains et la nature dans un burn-out global. Ils font bien leur boulot, ils font presque trop bien leur boulot : ils nous captent et on ne voit plus le reste du monde.

Radio U : Ce que tu dis fait un peu écho à la robustessedont tu parles justement dans ta conférence. ?

Je l’évoque un tout petit peu au moment où, justement, j’évoque les GAFAM, leur côté très performant et notre addiction à cette performance et notre aversion à la lenteur qui est un peu influencée par les outils que nous proposent notamment les GAFAM, mais pas que les GAFAM. Il y a des techniques de management qui n’ont rien à voir avec le numérique pour en faire toujours un peu plus dans toujours un peu moins de temps. Donc oui, la robustesse, c’est l’inverse de la performance.

Quand on regarde la nature, nous, on y lit de la performance, parce qu’en général, on aime essayer de trouver ce qu’on cherche dans ce qu’on voit. Donc, on a regardé la nature en disant : à regarder ce bec, regardez c’est de la performance, c’est hyper efficace. Si on essaie de se décontaminer la tête en disant : on va essayer de regarder objectivement ; ce qui est quasiment jamais possible parce qu’on a toujours des prérequis dans la tête ; si on essaie de sortir un peu de ces prérequis et qu’on regarde comment elle fonctionne en fait, on voit que la nature est non performante. Elle est à l’opposé de la performance : elle est robuste. La robustesse est l’inverse de la performance.

Radio U : Tu parles de reconnexion avec la nature. Est-ce que, collectivement, ça peut se faire, ou c’est quelque chose qu’il vaut mieux essayer de faire individuellement ?

Dans mon travail, je fais de l’éducation à l’environnement, je le fais beaucoup collectivement. En tout cas, c’est ce qu’on essaie de faire voir à travers les activités qu’on mène avec les enfants dans les classes. On fait beaucoup d’écoles du dehors, par exemple, on essaie d’emmener les enfants faire l’école dehors pour être reconnecté à la nature plutôt qu’à un écran. numérique ou même un écran vert avec une craie. On peut faire, on peut apprendre dehors, au contact de la nature, on fait des balades, donc on peut le faire collectivement sans trop de difficulté.

C’est sûr qu’après, quand on veut creuser un peu, qu’on essaye de rentrer un peu dans le sentir, plutôt que le percevoir ; on perçoit les choses, mais est-ce qu’on les sent ? alors souvent, on commence à redescendre vers de l’individuel.

Radio U : Le thème de cette année du forum des usages coopératifs, ce sont les pas de côté. Est-ce que tu aurais une définition des pas de côté, et comment tu l’as intégré dans ta, dans ta conférence.

La définition du pas de côté, pour moi, c’est sortir de l’ornière, c’est aussi de nouveau prendre le temps de regarder comment on fonctionne pour identifier un pas de côté par rapport à ses habitudes. Ce qu’on dit beaucoup, notamment autour du concept de la robustesse, c’est que ce sont nos habitudes qui constituent les crises. Donc si à un moment donné, on ne fait pas un pas de côté par rapport à nos habitudes - mais du coup, on a aussi pris le temps de déterminer quelles sont nos habitudes - cela va être compliqué de changer de système.

Donc voilà pour moi les pas de côté, c’est s’arrêter, comme mettre un bug et regarder ce qu’il se passe ,se dire quelles sont les habitudes que j’ai, auxquelles je n’ai jamais réfléchi, que je reproduis parce que ce sont des habitudes et comment je peux faire ce pas de côté ?

Radio U Pour terminer, est-ce que tu aurais un message à faire passer aux auditeurs et auditrices de Radio U ?

Pour rester cohérent par rapport à ce que je viens d’expliquer, j’aurais très envie de vous inviter à sortir, allez regarder un peu ce qui se passe dehors, sortez avec ou sans votre gsm, mettez-le en mode très silencieux dans votre poche.

Et une invitation encore un peu plus forte, une des difficultés que nous on a, les humains modernes, c’est de considérer la nature comme un objet et nous de nous considérer comme sujet. Pour rééquilibrer la chose. C’est un peu spécial, j’en conviens, mais la prochaine fois que vous vous baladez, essayez de dire, peut-être dans votre tête dans un premier temps, "bonjour" aux animaux que vous allez croiser. Donc, si vous croisez une mésange, dites-lui bonjour dans la tête dans un premier temps, pour ne pas passer tout de suite pour un fou ou une folle.

Mais faites ça, et le simple fait de redire bonjour aux choses, c’est reconsidérer les fameux objets comme des sujets et ça va déjà changer complètement votre regard sur cette nature et peut-être commencer à faire une reconnexion.

Quelques liens

L’adresse originale de cet article est http://www.cooperations.infini.fr/s...

Via un article de Michel Briand, publié le 24 septembre 2024

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