Durant le 11 ème Forum des usages coopératifs qui s’est déroulé à Brest du 2 au 4 juillet 2024, Radio U a réalisé une dizaine d’interviews aujourd’hui mises en ligne. Pour faciliter la diffusion de ces contributions au Forum sur les "pas de côté", j’ai entrepris de les retranscrire (avec les limites du passage d’un oral à l’écrit).
Pour continuer cette série, voici la transcription de l’interview de Yann Le Beguec coach et facilitateur animateur des ateliers "Pimp Ta Vive" et "Les trois temps des pas de côté"
Introduction par Radio U
Du 2 au 4 juillet 2024, s ’est déroulé le Forum des Usages Coopératifs à Brest. Pour cette 11e édition, organisée par le service médiations et usages numériques de la ville de Brest, c’est sous le thème des pas de côté que les participants et participantes ont abordé différentes manières de coopérer sur des sujets d’actualité et de société.
Rencontres, échanges, forums ouverts, conférences ou encore ateliers, Radio U a suivi plusieurs acteurs et actrices qui ont fait vivre ces journées.
Radio U : Bonjour pouvez-vous vous présenter ?
Yann : Je m’appelle yann Le Beguec. Je suis coach et j’accompagne les personnes et les individus à changer de regard sur eux-mêmes pour agir différemment.
Radio U : Quelles sont tes relations avec le forum des usages coopératifs ?
C’est ma deuxième participation et j’ai fait partie du collectif d’organisation, puisque c’était auto-organisé cette année.
Radio U : Est-ce que tu peux nous parler un petit peu des ateliers que tu as que tu as animé ?
J’ai animé deux ateliers, un que j’ai intitulé Pimp ta vibe avec l’idée justement de mettre plus de présence individuelle et collective et cela, ça passe par le corps. Donc, c’était concrètement des exercices corporels différents .
Et un deuxième atelier autour des trois temps du pas de côté., basé sur les travaux de d’un neurobiologiste, Francisco Varela qui permet de changer de point de vue pour débloquer une situation.
Radio U : Du coup, si on reprend l’atelier Pimp ta vibe j’ai vu que c’était un peu de la réflexion sur soi, c’était un peu d’introspection, si je ne me trompe pas. Comment est-ce que cela se conjugue avec le collectif ?
Il y a une partie d’introspection qui me semble nécessaire pour déjà prendre conscience de ma position et voir du coup que d’autres ont des positions différentes. Si je suis complètement absorbé par ma position, en fait, je peux être carrément dans le déni, dans l’ignorance que d’autres voient les choses différemment que moi. Déjà prendre conscience de cela permet après de mieux accepter les positions des autres. Donc il y a un travail, qui peut être introspectif effectivement mais qui généralement permet aussi finalement de s’ouvrir à d’autres idées, à d’autres propositions.
Radio U C’est presque manipulatoire ?
Le fait de de prendre conscience et de digérer sa position permet de plus facilement en changer.
Radio U : Concrètement du coup, qu’est-ce que, qu’est-ce que les gens ressortaient de ces ateliers ?
J’ai envie de dire, il faudrait leur demander. J’ai eu des retours ; le premier, c’était vraiment un énergiser pour se booster ensemble et à avoir une première expérience collective, et j’ai eu des bons retours de gens qui étaient très contents de ce premier temps. Le deuxième temps, c’était d’aller marcher vingt minutes, avec,cette introspection, un peu en binôme. Et pour celui là, je n’ai pas eu de retour. Et le troisième, ce matin, c’était autour de développer une capacité d’écoute ensemble. L’exercice était très simple, il consiste à s’arrêter tous en même temps. Mais du coup, ça demande que chacun soit très attentif au collectif ; et c’était assez chouette de voir le plaisir à essayer d’y arriver ensemble et la joie qui se dégage en fait quand un groupe a sens qu’il est ensemble et qu’il y arrive.
Radio U Quelle application peut-on sortir, justement de ces exercices ?
Les trois sont des métaphores - par le corps de ce qu’on peut faire dans un collectif quand il s’agit d’agir ensemble. Quand on parle du premier, c’est comment va se dynamiser ensemble et comment on va trouver le mouvement collectif. Le deuxième, l’introspection, c’est aussi en collectif, comment on va pouvoir être capable de se regarder fonctionner et de faire un pas de côté pour se regarder fonctionner. Et le troisième, c’est une première expérience vécue de notre capacité à, ensemble, prendre une décision sans que, forcément, ce ne soit pas un leader qui essaye d’imposer ou de convaincre. C’est comme si l’action émerge du groupe et à ce moment-là, il n’y a plus besoin de convaincre qui que ce soit, il n’y a plus de tension. C’est une évidence pour tout le monde ; c’est assez simple. Il s’agit juste de s’arrêter
Radio U : Est-ce que c’est un peu arrivé à un consensus ?
Exactement, c’est même allé plus loin, certains parlent de consensus sans compromis. C’est-à-dire que dans le consensus, il y a cette question ; est-ce que c’est acceptable pour moi ? Mais il peut aussi y avoir - c’est pas ma préférence. Et , dans cette idée de consensus sans compromis, on va même un peu plus loin, ça inclut véritablement toutes les positions de chacun. Sur un exercice aussi simple, ça reste une une bonne première approche et très pédagogique. Après, c’est beaucoup plus compliqué quand il s’agit de mettre ça dans des vrais collectifs, mais c’est pas impossible.
Radio U : A qui ça s’adresse justement, c’est ces exercices : des associations, des entreprises même ?
C’est vraiment tout public. Je peux dire que les méthodes, que j’utilise et le concept qui est derrière est appliqué de des petites associations ; cela marche aussi très bien pour des entrepreneurs individuels, partout où là des personnes ont du pouvoir d’agir. Cela peut être dans des entreprises, mais il faut quand même avoir une certaine marge de manœuvre, et c’est appliqué même sur des gouvernements et des pays entiers.
Radio U : Du coup, tu parlais des pas de côté. Qu’est ce que ça représente pour toi, les pas de côté ?
La capacité, à un moment donné, de faire une chose différemment et cela nécessite de prendre conscience de mon fonctionnement intérieur. C’est de mon changement intérieur que va naître le changement extérieur. Et donc pour moi, dans le pas de côté, il y a vraiment ce temps, d’abord de suspendre mon comportement habituel pour en prendre conscience, d’explorer un autre angle de vue qui me donne envie d’agir différemment, de prendre conscience du collectif aussi.
Et notamment, pour beaucoup actuellement, cela consiste aussi à prendre conscience qu’il n’y a pas seulement mon point de vue qui compte ; mais que quand je me mets vraiment au service du collectif, il peut y avoir des choses qui émergent et qui peuvent même aller jusqu’à finalement revoir complètement mon activité.
On en parlait dans l’atelier juste avant. Ça peut être aussi- pourquoi pas, un moment donné, quand on se pose vraiment la question de faire un pas de côté au niveau de la société, d’accepter que certaines organisations ou associations disparaissent. Et c’est peut-être profitable finalement, globalement.
Radio U : est-ce que tu as des exemples, justement, de personnes que tu as suivi comme ça, qui ont revu un peu leur jugement sur des choses, qui ont accepté des faits, des consensus justement ?
Des exemples, j’en ai plein, mais il faudrait trouver quelque chose de pertinent. Je peux parler des Jardiniers du nous, c’est le nom de l ’association dans laquelle je suis. C’est une communauté apprenante de la coopération. Quand.je suis arrivé il y a deux ans, c’était une association qui n’avait pas de modèle économique, qui avait énormément de dette par rapport à son budget. Quand j’ai découvert un peu l’état de l’association, la question que je me suis posée, c’est : est-ce qu’il ne faut, pas tout simplement la fermer ? Et le pas de côté que j’ai fait, c’est que j’ai posé la question à la communauté, en fait, avec le processus que j’ai décrit auparavant, Et la communauté a réagi. Non seulement je m’attendais à ce qu’elle donne des idées, des stratégies ; non seulement elle a fait ça, mais en plus elle a réagi en participant financièrement. Et donc, à la fois : ça a permis de faire un pas de côté, donc de redéfinir l’identité de l’association ; on a refait des statuts, on a refait un règlement intérieur, on a pu rembourser toutes nos dettes maintenant. Mais en plus cela a soudé la communauté autour de cette problématique. Donc ça, ça a été vraiment un résultat au-delà de mes espérances, clairement.
Radio U : Est-ce que tu aurais un dernier message à passer aux auditeurs et auditrices de Radio U ?
Aujourd’hui, ce qu’on est en train de vivre, je crois que c’est juste le début de ce qui va nous arriver. Et ça va vraiment nous demander de déconstruire tout ce qu’on croit vrai, sur notre identité, sur nos parcours professionnels. J’’ai quarante trois ans aujourd’hui et à l’époque quand je sortais de ma formation, je pouvais encore imaginer faire tout mon cursus dans une même entreprise. Aujourd’hui, personne, à mon sens, ne rêve de ça. Et donc il faut vraiment être capable, non plus de s’adapter ; s’adapter, ce serait accueillir le choc pour alors que là, en fait, il y en a tout le temps ; et ça va devenir de plus en plus. Donc, pour moi, la réponse doit être forcément collective. Et donc, quelle que soit l’action que vous avez envie de faire, le domaine qui vous passionne, j’ai envie de vous encourager à le faire en collectif et à vous frotter aux décisions collectives pour commencer à apprendre et développer ce muscle de la coopération. C’est un muscle en fait, et ça s’apprend, et puis ça devient petit à petit un vrai plaisir, en fait à le faire, même si ce n’est pas toujours facile.
Liens
– Pour pratiquer l’intelligence collective entre pair·es, découvrez les Jardiniers du Nous
– Qui était le neurobiologiste Fransisco Varela qui a fortement influencé la théorie U dans sa description du pas de côté à travers l’interview qu’Otto Scharmer a réalisé de lui.
– Le site sur les propositions d’accompagnements et formationsde Yann Le Beguec : e.k.o accompagnement en particulier la prochaine session de découverte des outils de la théorie U pour accompagnant·e : le U-man Lab.*
– Marche empathique : Ce processus et son nom sont adaptés de la marche empathique proposé par le Presencing Institute dont vous pouvez trouver la description complète dans le pdf en lien.
– Pour en savoir plus sur les 4 niveaux d’écoute, vous pouvez lire un article questionnant notre capacité d’écoute et détaillant de manière très compréhensible ces 4 niveaux par Otto Scharmer ( professeur au MIT qui contribue très largement à la diffusion de la théorie U) traduit en français, ou vous reportez au blog de Julie Boiveauqui en a fait une belle adaptation illustrée.