Reprise d’un article publié sur le site Owni
magazine de journalisme numérique en creative commons
De quelles façons les technologies envahissent l’espace et la ville et quelles peuvent être les conséquences ?
Les nouvelles technologies permettent aux gens moins riches d’avoir les mêmes outils et les mêmes possibilités que ceux des quartiers plus aisés : les réseaux sociaux, les moyens pour échanger les objets, etc. Certains outils comme les hobo signs en QR Codes [en] duF.A.T. (un pochoir sur un mur qui signifie que dans telle maison le propriétaire fait à manger, donne un peu d’argent contre un peu de travail, ou à tel endroit, le Wi-Fi est gratuit, le café n’est pas bon, etc…) proposent de relier l’information et de la relayer de différentes manières. La ville est la poursuite de différents liens. Et la technologie aplanit les banlieues, la périphérie et le centre, le tout pensé par l’architecture de la ville.
En adaptant la technologie à la ville, on la hacke pour que les citoyens se la réapproprient ?
Oui c’est tout à fait ça. Hacker la ville, c’est récupérer un espace qui appartient à tout le monde et à personne. Il y aurait des centaines de projets qui concernent cette question. Par exemple en Allemagne, des designers et des artistes de Berlin investissent la ville et la détournent : ils ont installé des bancs, des chaises et des tables pliantes au sein d’un compteur électrique. Le compteur se ferme et quand ils viennent sur place, ensemble dans cette rue, ils déplient le compteur, une grande table apparait et ils boivent un coup, ils mangent ensemble. Le compteur fonctionne toujours, il a gardé son utilité première et en a gagné une deuxième. En fait, l’essentiel est là : hacker la ville les a liés ou reliés.
Autre exemple en Chine. À Beijing, un étudiant a décidé d’investir un grand trottoir en y installant sa maison, une grosse boule en mousse de la taille d’une voiture dans laquelle il a mis son lit, un ordinateur et de la lumière. Sur cette boule, il a accroché des petits sacs de terre sur lesquels poussait de la verdure. Personne ne s’est offusqué. Et pourtant il avait créé son espace sur le trottoir…
Quel est le sous-entendu de telles démarches ?
Qui dit se réapproprier la ville dit qu’elle ne nous appartient plus. Notamment à cause de considérations économiques ou d’architecture. Le lien social intervient ensuite : on peut modifier la ville mais tout seul c’est moins enrichissant. Créer comme les Allemands un espace pour être ensemble, boire un verre et partager un saucisson c’est instaurer des relations qui n’existaient pas avant. Et déjouer des normes aussi.Parking Day par exemple est un hacking de ville. Tout le monde est invité à louer une place de parking, en ville, et le temps de la location, faire ce qu’on en veut. Planter des fleurs, du gazon, installer un banc et tout un tas de choses qui font que pendant l’heure louée, la place est détournée de sa première utilité. Qui a dit qu’il fallait mettre une voiture sur une place de parking ?
C’est comme si le lien social avait plus ou moins disparu et qu’il était nécessaire de le retrouver. Mais pourquoi la ville ?
Michel Mafesoli disait que « le lieu fait le lien ». L’agora et le centre de la ville créent la communication. À l’inverse, le lien peut faire le lieu et l’espace, qu’il soit physique ou pas devient un lieu. Twitter, les chatrooms sont juste des espace non physiques où se créent des conversations. Les deux sont aujourd’hui des lieux à part entière. Parce que c’est l’agora, la place publique dans laquelle les gens viennent se retrouver, un point de convergence, un point central. C’est le seul endroit, la ville et la rue, qui à la fois appartient à tout le monde et à personne en particulier. Du coup c’est le seul lieu qui reste. Et que les gens peuvent se réapproprier.
Pendant longtemps, les gouttières étaient considérées comme des éléments publics dont certains se servaient pour coller des autocollants ou dessiner. Elles n’appartenaient à personne et le vide juridique leur laissait la possibilité de décorer l’espace sans risquer quoi que ce soit. Il en va de même pour les graffitis, les graffeurs se servent des bâtiments publics parce que la rue leur appartient aussi. En théorie, les maisons des particuliers sont épargnées !
Mais qui sont les hackers de la ville ? Des passionnés, des citoyens qui revendiquent ou des designers ?
Ce sont des citoyens qui ont un métier et qui ont décidé de s’engager un peu. Ce sont des personnes qui font du graphisme, d’autres qui font du street art. D’un coup ils se réveillent en se disant qu’ils partagent une ville avec d’autres et leurs côtés citoyen et politique émergent. Ils ont déjà une certaine idée de la société. On peut créer, faire des choses pour les autres, mais après il faut trouver une cause, un but. La ville est faite pour ça, c’est un excellent terrain de jeu.
Comme les créateurs de Fabrique-Hacktion ?
Oui tout à fait. D’autres avaient commencé à faire ce genre de projet notamment à Strasbourg. La ville ludique avait été utilisée pour créer des parcours sportifs avec les objets du quotidien. La ville est devenue un stade.
On peut comparer ça dans une moindre mesure à Jeudi Noir etleurs soirées dans des appartements parisiens de 20 m2 à 800 euros : ils dénoncent avec un côté festif. C’est une forme d’action.
Hacker la ville est donc une forme d’activisme ?
Oui, on peut le mettre dans la même « case » même si la revendication est différente, moins engagée, moins politisée et moins politique. Mais elle existe. Fabrique-Hacktion c’est une manière de signaler « Coucou il manque des choses, c’est mal pensé », en ajoutant simplement quelque chose qui permet à ceux qui s’en servent de se dire « Ah oui mais c’est vraiment beaucoup mieux ! ».Et ce qui est intéressant c’est qu’il n’y a pas besoin d’en dire plus : on a juste changé la ville, on l’a rendue plus agréable, plus pratique et plus facile.
Les petites choses qui sont faites et qui sont décalées ont ensuite un impact sur le comportement des gens et au moment où la petite amélioration disparait, ils se rendent compte que ça leur manque. Soit ils peuvent le réclamer d’eux-même, soit il peut exister une prise de conscience de la part de ceux qui créent le mobilier urbain, les trains, etc. Se dire que les hackers n’avaient pas tort c’est admettre qu’il y avait un vrai besoin derrière et que parfois quand on ne propose pas nous-mêmes un ajout à apporter, les fabricants n’en ont pas forcément l’idée. D’ici vingt ans on aura peut-être un porte-journaux dans le métro !
Ça ressemble à la définition d’une ville intelligente ?
Oui c’est inventer la ville pour la rendre plus pertinente. Un projet artistique avait construit des bancs contre les SDF : ils comportaient des pointes sur les sièges et pour pouvoir s’y asseoir, il fallait insérer une pièce qui faisait que les pointes rentraient dans l’ossature du banc pendant une heure ou trente minutes.
C’est un projet mais en l’état, les villes « intelligentes », avec beaucoup de guillemets, existent déjà. Les bancs anti-SDF, ce sont les bancs dans le métro, qui ont des accoudoirs et qui ont été conçus pour que les SDF ne puissent pas s’allonger dessus. Prévus comme ça pour ça. De même avec les sièges creux. Le design peut être intelligent mais avec l’intelligence qu’on veut bien lui prêter. Pour obéir aux désidératas et aux volontés des politiques de la ville sous sa forme la plus concrète.
Mais c’est un peu à double tranchant. Surtout c’est aux designers de savoir ou pas de ce qu’ils vont faire et pourquoi, de savoir où ils s’engagent, d’en être conscients. Les designers qui ont créé les bancs avec ces accoudoirs devaient très bien savoir à quoi ça allait servir. Ils ont dû tester : ils se sont allongés sur le dos et se sont dit « là j’ai mal au dos et là ça va. Donc je dois renforcer ça comme ça. »
L’urbanisme au service de la ville est donc déjà en action, reste à savoir de quelle manière les hackers peuvent servir les citoyens en transformant la ville.