C’est le nouveau slogan de l’UMP, pour la campagne 2012 : "le parti des droits et des devoirs". L’occasion pour nous de rappeler que s’il faut effectivement un équilibre entre droits et obligations, il serait temps d’ouvrir un grand débat sur le droit d’auteur à l’aune des devoirs des créateurs. Quels sont et quels devraient être, vis à vis de la société, les droits et les devoirs de ceux qui se sont donnés comme profession le fait de créer des oeuvres ?
Ce débat est particulièrement crispant sur la question du domaine public. Nous l’avons ressenti avec une certaine stupeur lors du débat organisé au MaMa 2011 par CD1D, où étaient presque exclusivement présents des professionnels de la musique. Le fait de rappeler qu’une oeuvre appartient par principe non pas à l’auteur mais à la société tout entière, et que c’est par l’effet d’un contrat social (le droit d’auteur) que l’oeuvre est d’abord gérée en exclusivité par l’auteur pendant une période strictement limitée, a été vécu comme un véritable affront d’éffronté par les auteurs, artistes, producteurs et éditeurs présents. C’est pourtant bien cela ; l’oeuvre appartient au domaine public, mais par la loi la société accorde à l’auteur un monopole temporaire dont l’idée originelle était qu’il devait permettre à l’auteur de créer d’autres oeuvres. Le temps de ce monopole, l’auteur touche les droits qui lui permettent de vivre pendant la création de la prochaine oeuvre. Et ainsi de suite.
Depuis, ce principe originel qui reste inscrit dans la construction juridique du droit d’auteur a été totalement oublié par les auteurs et ceux qui les défendent. Surtout, il a été totalement galvaudé. Au point que la durée du monopole est devenu une variable d’ajustement des prestatations sociales, dont on voudrait compenser la pauvreté par un affaiblissement du domaine public.
Dans l’esprit des créateurs professionnels, le domaine public n’est plus vu comme une normalité, mais comme une exception anormale. Comme une forme d’expropriation qu’il faudrait refuser. "Je m’y emploie", nous répondait presque sérieusement la représentante de la Sacem, Mme Kerr-Vignale, lorsque nous redoutions que dans 400 ans, les oeuvres réalisées aujourd’hui seraient toujours couvertes par le droit d’auteur exclusif, sous l’effet des prolongements successifs. Depuis le Statute of Anne de 1709 (ce qui était hier à l’échelle de l’humanité), la durée du monopole est passée de 14 ans après la création de l’oeuvre à 70 ans après la mort de l’auteur.
Par ailleurs, les auteurs ont oublié que ce n’est pas parce qu’ils ont un droit qu’ils ont le devoir de le faire respecter. L’affaire Paroles.net est à cet égard révélatrice. Voilà un site dont l’activité ne causait aux ayants droit qu’un préjudice minimal, qui ne générait pas de revenus suffisants pour permettre sa légalisation dans les termes financiers voulus par les ayants droit, qui ne connaît aucune concurrence "légale" véritable, et qui a dû fermer ses portes parce que les ayants droit ont décidé qu’il fallait payer (et si possible cher) toute exploitation de leurs oeuvres. Même les plus insignifiantes sur le plan économique. L’absurdité est telle que même l’Hadopi s’en est emparée pour tenter de comprendre, via ses Labs, quelle pouvait être la motivation des ayants droit.
Que cela plaise ou non, que ce propos paraisse juste ou injuste, il reste que l’auteur ne vit bel et bien que grâce au monopole temporaire que lui accorde le public sur son oeuvre. C’est le citoyen, à travers le législateur, qui permet à l’auteur de créer et d’en être rémunéré. C’est ce qui rend d’autant plus absurde le fait que ce même législateur permette aux auteurs d’attaquer les citoyens, à travers l’Hadopi ou des actions judiciaires. Les deux mouvements opposés ne sont guère compatibles. Or il faut rappeler ici, une nouvelle fois, les propos de Victor Hugo lorsqu’il prononçait en 1878 son discours d’ouverture de l’Association littéraire et artistique internationale (ALAI) :
Reprise d’un article
Publié par Guillaume Champeau, le 14 Novembre 2011
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Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous. (Marques nombreuses d’approbation)
Il ajoutait ensuite : "mais, je viens de le dire, ce sacrifice n’est pas nécessaire". Il ne l’est pas davantage aujourd’hui. Mais l’on est en train progressivement de sacrifier "l’intérêt public" sur l’autel du droit de l’écrivain. Il faut revenir aux fondamentaux, ouvrir un grand débat public sur la légitimité des droits des auteurs, et rééquilibrer les deux plateaux de la balance. Une mission toute trouvée pour le "parti des droits et des devoirs". A moins que les droits ne soient que d’un côté, et les devoirs de l’autre ?