Stranger Than Paradise, Down by Law… quel choc narratif et esthétique que les premiers films de Jim Jarmusch[1] ! Toute ma jeunesse en somme…
Ses cinq règles d’or du réalisateur ont été proposées en 2004 au magazine MovieMaker.
Ne trouvez-vous pas qu’elles prennent une résonance toute particulière en ces « troubles temps d’Hadopi », et qu’elles pourraient s’étendre, par extrapolation, à toute la création d’aujourd’hui ?
« L’authenticité est inestimable, l’originalité n’existe pas. »
Les règles d’or de Jim Jarmusch
Jim Jarmusch - 22 janvier 2004 - MovieMaker
(Traduction Framalang / Twitter : Aude, Erdrokan, Yoha, Idoric, Erwan et DonRico)
Règle 1 : Il n’y a pas de règle
Il y a autant de manières de faire un film qu’il y a d’auteurs potentiels. C’est un exercice libre. Je ne me sentirais jamais le droit de dicter à quelqu’un ce qu’il doit faire ou comment s’y prendre. Pour moi, ce serait comme imposer à quelqu’un ses croyances personnelles. C’est du n’importe quoi. C’est à l’opposé de ma philosophie – cela tient plus du code que d’un ensemble de « règles ». Donc, ne respectez pas religieusement les « règles » que vous êtes en train de lire, considérez-les plutôt comme des notes personnelles. Chacun devrait se faire ses propres « notes », puisqu’il n’y a pas qu’une seule et unique manière de procéder. Si certains prétendent qu’il n’existe qu’une manière de faire, la leur, éloignez-vous-en autant que possible, physiquement et philosophiquement.
Règle 2 : Ne vous laissez pas emmerder
Les emmerdeurs peuvent vous aider ou bien vous freiner, mais pas vous arrêter. Ceux qui financent, distribuent, promeuvent et projettent les films ne sont pas cinéastes. De même qu’ils ne sont pas prêts à laisser les réalisateurs définir et réglementer leur travail, les réalisateurs ne devraient pas les laisser édicter la manière de faire un film. Si nécessaire, armez-vous.
Dans le même ordre d’idée, évitez à tout prix les flatteurs. Il s’agit toujours de personnes qui vous tournent autour pour devenir riches, célèbres, ou coucher. De manière générale, ils s’y connaissent autant en réalisation de film que George W. Bush en combat à mains nues.
Règle 3 : L’équipe de production est au service du film
Le film n’est pas au service de l’équipe de production. Hélas, dans le monde de la réalisation, c’est presque toujours le cas. La fonction d’un film n’est pas de tenir les budgets, les délais, ou d’enrichir les CV des participants. On devrait pendre par les chevilles les réalisateurs qui ne comprennent pas cela et leur demander à eux pourquoi le monde est sens dessus dessous.
Règle 4 : La réalisation d’un film est un processus collectif
Vous avez la chance de travailler avec des gens dont la réflexion et les idées peuvent être plus brillantes que les vôtres. Assurez-vous qu’ils se concentrent sur leur fonction et ne prennent pas la place de quelqu’un d’autre, ou vous serez confrontés à un beau bordel. Considérez tous vos collaborateurs comme des égaux et respectez leur travail. Un assistant de production qui arrête les voitures afin que l’équipe puisse faire une prise n’est pas moins important que les acteurs, le directeur de la photographie, le directeur artistique ou le réalisateur.
L’organisation hiérarchique n’est bonne que pour les egos surdimensionnés ou incontrôlables, et les militaires. Si vous choisissez bien vos collaborateurs, ceux-ci peuvent améliorer la qualité et le contenu de votre film bien plus que ne l’aurait fait n’importe quel esprit solitaire. Si vous ne voulez pas travailler avec d’autres, choisissez plutôt la peinture ou l’écriture. (Et si votre truc c’est d’être un dictateur, par les temps qui courent, il vous suffit de vous lancer en politique…)
Règle 5 : Rien n’est nouveau
Piquez des idées n’importe où, du moment que cela vous inspire, nourrit votre imagination. Dévorez les films anciens et récents, gavez-vous de musique, de livres, de peintures, de photographies, de poésie, de rêves, nourrissez-vous de conversations à bâtons rompus, d’architecture, des ponts, des panneaux d’indication, des arbres, des nuages, des cours d’eau, de la lumière et des ombres. Ne volez que ce qui parle directement à votre âme. De cette manière, vos travaux (et vos emprunts) seront authentiques. L’authenticité est inestimable, l’originalité n’existe pas.
Et n’essayez pas de dissimuler votre forfait – vous pouvez même vous en vanter, si vous voulez. Dans tous les cas, rappelez-vous les mots de Jean-Luc Godard : « Ce qui compte, ce n’est pas d’où viennent vos idées, mais ce que vous en faites. »