L’école et la famille comme fabriques du citoyen critique et éclairé

Mon article d’hier sur le caractère pernicieux, pervers et pervasif des écrans et de leur multiplication a généré quelques commentaires intéressants (mais ils le sont souvent, je dois dire que les quelques lecteurs de ce blog sont toujours au top), notamment celui-ci :

Pendant que j’y suis, vous avez tort sur un point important :
« Ces images surgissent et pénètrent mes pensées de leurs messages sans qu’il me soit possible d’opposer une résistance. » C’est faux. On peut s’opposer aux messages publicitaires.

  • Premièrement en leur répondant. Ça peut paraître stupide comme idée à première vue, mais parler à une affiche ou à un spot de pub vous arrache à votre passivité et votre soumission. Faites attention de ne pas parler trop fort tout de même pour ne pas être pris pour un fou. D’autant plus que la majorité des pubs vous invitera à l’insulte tant leurs messages et les valeurs qu’elles veulent vous inculquer sont cyniques.
  • Deuxièmement en comprenant les intentions et les messages vicieux de la publicité. En tant qu’auteur, vous ne devriez pas avoir trop de difficulté à percevoir les sens cachés.

Outre le caractère parfaitement pertinent de ces remarques (j’adore l’idée de répondre aux affiches publicitaires, je trouve ça truculent), je réalise que j’aurais dû faire preuve de davantage de précision dans la formulation. Quand je dis que « ces images surgissent et pénètrent mes pensées de leurs messages sans qu’il me soit possible d’opposer une résistance », j’emploie effectivement la première personne dans un souci d’identification du lecteur. J’ai moi-même un regard particulièrement critique sur le contenu que les écrans diffusent, et je crois être à l’abri des chimères des messages publicitaires – à titre personnel.

En revanche, je suis convaincu que beaucoup de gens sont, en revanche, totalement exposés à ces messages et à leur tyrannie. Je pense aux enfants, bien sûr, aux adolescents, mais aussi aux personnes qui n’auraient pas eu la chance de tomber sur les bons livres, sur les bons professeurs, sur une famille critique à l’égard de cette culture, et qui d’une façon ou d’une autre subissent ces messages davantage que ces derniers les informent. Pire, il me semble parfois que l’école joue un rôle de complice en laissant les entreprises privées passer ses portes, en fermant les yeux sur le harcèlement et en encourageant un esprit de compétition malsain. Le problème, c’est qu’en laissant libre cours à ces pratiques, en y exposant les plus jeunes et les plus fragiles, ceux-ci intègrent l’idée qu’il s’agit là d’une situation normale, de la situation de base, que le monde est ainsi et qu’on n’est pas censé le questionner.

Une éducation digne de ce nom devrait affuter les esprits critiques plutôt que de les émousser, les entraîner à la controverse, les familiariser avec la méthode scientifique, bref, donner des armes pour affronter le monde – qui est déjà suffisamment dur, cruel et cynique pour qu’on y ajoute une servitude volontaire inutile.

Sans réelle hiérarchie ni volonté d’exhaustivité, voilà comment l’école et les parents pourraient se rendre utiles, s’ils le voulaient.

  • apprendre à avoir un regard critique sur la publicité, lutter contre les complexes qui en découlent, qu’ils soient anatomiques ou socio-économiques ;
  • savoir s’informer, choisir ses sources d’information, apprendre ce qu’est une ligne éditoriale et son hypothétique neutralité, comment celle-ci peut influencer la manière dont on perçoit l’actualité, savoir reconnaître une information qui n’est pas fiable ;
  • lutter contre les préjugés véhiculés par certains pans de la culture populaire, qu’il s’agisse de racisme, d’homophobie, de body-shaming, etc, en favorisant la discussion et le débat ;
  • avoir une véritable éducation aux technologies numériques – et pas seulement manipuler bêtement des tablettes –, étudier le design des interfaces, disséquer le fonctionnement des réseaux sociaux, le modèle économique des géants du secteur, montrer les failles là où elles sont, comprendre ce que sont le logiciel libre et une communauté de collaboration ;
  • comprendre nos systèmes, qu’ils soient industriels ou politiques : cela veut dire les analyser, trouver leurs forces et leurs failles, réfléchir aux possibles ;
  • on pourrait continuer cette liste à l’infini ou presque…

À mon avis – qui par définition n’engage que moi – on gagnerait à mettre l’accent sur les combats qui nous touchent directement en tant qu’individus sociaux. Nous aurions besoin d’armes, parce qu’on nous en donne trop peu. Elle serait peut-être là, l’urgence éducative dont on parle si souvent, pour ne pas laisser les gens, et notamment les plus faibles, seuls face à ces monstres. Parce que tout le reste – tout ce que nous nommons éducation – en découle…

La littérature classique et les théorèmes mathématiques – même si chacun affute les esprits à sa manière – auraient toujours le temps de venir ensuite.

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Via un article de Neil Jomunsi, publié le 20 juin 2017

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