D’après un mél de Florent Latrive
Q/) Dans votre "charte", vous indiquez que "le Tigre" est "fabriqué avec
des logiciels libres". C’est une coquetterie ?
R/ C’est tout sauf une coquetterie. C’est un choix qui articule
plusieurs réflexions.
Nous nous étions intéressés, d’un point de vue théorique, aux logiciels
libres dans notre revue "R de réel" (revue de librairies, qui a parcouru
tout l’alphabet de A à Z) : voir l’article.
Encore fallait-il passer à l’acte : or pour faire un journal, il faut un
logiciel de mise en page qui tienne la route. Dans le passé, on
utilisait XPress. Or il se trouve que, depuis quelques années, se
développe un logiciel de mise en page libre qui s’appelle Scribus et qui est en train de devenir un outil de grande
qualité (nous utilisons la version 1.3.3.1, dite instable, mais en
réalité très stable). La première condition était donc remplie.
Ensuite, il y a une logique économique : quand on lance un journal sans
argent (une petite SARL de presse avec de la love money), en refusant
par principe d’y mettre de la publicité, on est obligé de faire
attention à ses coûts - et Scribus étant gratuit, c’est un vrai
avantage, là où une seule licence XPress coûte 2000 euros !
Par ailleurs, il y a le sentiment grisant de se retrouver face à un
logiciel qui, certes, a encore des défauts, mais s’améliore de jour en
jour - et parfois grâce à nos conseils ou demandes...
Se former à
Scribus a pris un peu de temps (nous sommes 4 à l’utiliser), mais
aujourd’hui nous sommes comme des poissons dans l’eau, et il y a un vrai
plaisir, de version en version, à voir cet outil devenir de plus en plus
puissant. Faire le choix d’un logiciel libre, c’est préférer l’astuce,
l’énergie, et le courage (il en faut parfois quand des fonctions
essentielles, comme le ctrl + Z au sein des cadres de textes n’existe
pas) à la paresse d’un logiciel propriétaire qui induit une relation de
consommateur à vendeur.
D’autant que l’équipe qui développe Scribus est particulièrement
sympathique, ouverte, dynamique et efficace - et ce n’est pas de la
langue de bois, d’autres communautés autour du libre étant parfois peu
amènes... Il ne nous est jamais arrivé de rester en rade avec un
problème dû à Scribus (avec Linux, oui, mais c’est une autre histoire,
due au manque de temps et de formation au système d’exploitation
lui-même...)
Enfin, et c’est à mon avis le plus important : nous retrouvons, dans les
logiciels libres la même philosophie de création qui nous anime au sein
du "Tigre". En effet : ce n’est pas le résultat financier qui importe,
mais le geste lui-même. Alors certes nous faisons un journal payant, et
protégé par le droit d’auteur traditionnel. Mais la perspective de
gagner de l’argent avec ce projet est illusoire : ce qui nous intéresse,
c’est d’inventer quelque chose de nouveau, qui soit de la presse sans en
avoir les tics, qui soit du papier journal mais sans publicité, qui ne
soit pas conçu pour plaire à une certaine catégorie de lecteurs, qui ait
une maquette venue d’un autre monde, qui soit éclectique dans son
approche, qui soit signé uniquement de pseudonymes pour rompre avec
l’effet de notoriété des auteurs, autant de caractéristiques que nous
avons résumé dans notre sous-titre : hebdomadaire curieux.
Un logiciel libre, c’est une sorte de don fait au monde.
C’est pour nous
la meilleure façon de voir les choses. De faire quelque chose pour ce
quelque chose, et non pour toutes les raisons habituelles (salaires,
notoriété, confort, etc.)
Quant à proposer une licence ouverte sur le contenu du "Tigre", nous y
réfléchissons... Mais ce sera pour un second temps, car il faut tout à
la fois convaincre les différents auteurs et, surtout, imaginer uen
version internet du journal. Or la version papier nous demande
aujourd’hui trop de temps et d’énergie - et les difficultés financières
sont si importantes que nous nous concentrons sur l’animal en papier
lui-même.