C’est avec la volonté de relier progrès technologique et vie sociale dans la cité et conscient des enjeux de transformation portés par l’internet que nous avons initié à Brest une politique d’appropriation sociale qui cherche à réduire les exclusions et favoriser le lien social. Cette action, s’inscrit dans le courant d’initiatives engagées par des collectivités (villes, régions) et soutenues par l’état dans les années 1996-2000.
Dans cette démarche d’innovation sociale, le travail en réseau, l’observation et l’évaluation jouent un rôle important pour guider l’évolution de la politique suivie. Nous l’illustrerons rapidement par un panorama des réseaux porteurs de la diffusion de l’internet au sein des collectivités auxquels nous avons participé en France : guide des « bonnes pratiques » et recommandations aux élus locaux de l’Observatoire des Télécommunications dans la Ville, valorisation de l’implication des villes à travers Villes internet, débat sur « TIC » et enjeux de société avec Vecam, implication des collectivités dans l’aménagement numérique des territoires avec l’AVICCA, association des villes câblées, mutualisation des expériences de l’accès public à internet en France avec Créatif, organisation d’échanges à travers les rencontres d’Autrans, d’Hourtin ..
Progressivement sur une dizaine d’années, l’action publique s’est déplacée de l’accès vers les usages et services, puis vers les contenus. Nous utiliserons l’exemple brestois pour rendre compte de cette évolution sur des exemples concrets.
La ville compte aujourd’hui 77 papis « Points d’accès publics à internet », plus d’une centaine de sites de publication associatifs ou de quartiers et voit émerger les initiatives d’auto-productions collaboratives : CD bureau libre, photothèque ouverte, médiathèque coopérative, encyclopédie-atlas-carnet wiki-brest.
Avec une dizaine d’années de recul, c’est autour de la coopération, de la mise en communs que nous trouvons un fil conducteur. C’est dans ce contexte que nous évoquerons les questions du logiciel libre et des contenus ouvert, au coeur des premiers développements de l’internet et qui prennent aujourd’hui une place de plus en plus grande dans la société..
Initié au sein de communautés de développeurs informatiques, s’adaptant aux besoins d’échanges entre personnes au fur et à mesure des technologies disponibles, le logiciel libre est indissociable du développement d’internet. GNU, Linux, Mozilla, Open Office et les outils plus techniques d’apache, du php, du pair à pair jalonnent l’histoire récente de l’internet et du multimédia.
Le logiciel libre par son développement au sein de larges communautés, par ses 4 libertés qui en assurent la mise à disposition est symbolique des mutations, non pas techniques mais culturelles introduites par la diffusion des outils de l’internet dans la société.
La mise en place du projet « bureau-libre free eos », CD d’outils de bureau libre conçu localement à partir de coopérations entre une ville, des associations locales et une association nationale (Free Eos) a constitué un tournant dans notre action publique. Parti d’un tirage à quelques milliers d’exemplaires en mars 2005, le CD a été diffusé en différentes versions à 150 000 exemplaires, témoignant d’un besoin et d’une maturité de nombres d’acteurs publics autour de la question du logiciel libre. Cette initiative est significative de la place que peut prendre une initiative publique dans une société de l’information plus souvent dominée par de grandes sociétés privées que par l’implication des états.
Le choix de privilégier la dimension « outils de bureau » dans l’environnement le plus courant « windows » a permis une large diffusion via les acteurs du service public local (bibliothèques, équipements socio-culturels, lieux d’accès public, associations) et les établissements d’enseignement (universités, lycées ..), diffusion qui devrait s’élargir en 2006.
Au delà de la mise à disposition d’un CD à chaque lycéen ou étudiant, il reste à analyser les facteurs de succès et les freins à l’usage pour construire une politique qui allie mise à disposition et accompagnement humain.
Aujourd’hui nous vivons un contraste entre l’adhésion de ces acteurs et les réserves des directions « systèmes d’information et télécommunication » des services publics. La prise en compte de l’enjeu des formats d’échanges ouverts et des logiciels libres, préalables à l’élaboration d’une politique de migration demande du temps, comme il avait fallu du temps pour passer des systèmes fermés (IBM net, DECnet, Bull) aux protocoles ouverts de l’internet. Les logiciels libres sont aussi une opportunité d’échanger un coût de licence contre un coût de formation, d’adaptation de logiciels, facteurs de création d’emplois localement. Cette question de l’économie du logiciel libre qui va faire l’objet d’un groupe de travail régional reste à étudier.
Adopter le logiciel libre n’est pas une simple opportunité économique. La même année que nous produisons le CD bureau libre, nous voyons se multiplier les initiatives de co-production en matière de mise en communs d’images, de vidéos, ou de recueil de récits sur le patrimoine culturel, historique, géographique humain au pays de Brest.
Ces innovations sociales, la conduite du changement sont l’occasion d’un partenariat fructueux entre acteurs locaux, institutions et l’observation participante du laboratoire d’usage Marsouin (coopération des 4 universités de Bretagne et de l’ENST Bretagne) que nous illustrerons à travers deux exemples les projets internet de quartier et écrit public 9. Dans un quartier populaire relevant du développement social urbain, l’espace public situé au sein d’un appartement de l’habitat social invente une « chaîne du libre » et nous apprend comment les outils d’expressions multimédias peuvent être un biais pour reconquérir l’estime de soi, valoriser et reconnaître les personnes.
Les outils du libre par leur souplesse d’adaptation dans des plate forme locales sont facteurs de lien entre publications (avec le système Spip largement utilisé à Brest) entre projets (avec les wikis) et demain entre expressions (avec une plate-forme locale de blogs-citoyens).
Cette problématique qui relie libre, coopération, expression et au coeur des réseaux de personnes à personnes du web 2.0 sera le thème du second forum des usages coopératifs 13que nous organisons en juillet 2006 pour confronter les expériences de différentes régions francophones.
C’est par cette évocation du changement culturel de la coopération et de la mise en communs que je conclurai cette présentation.
Amener les personnes à écrire sur wikipédia, mettre en réseau les collectes de mémoire, donner à voir ce qui public, relier la ville et les communes du pays, apprendre à travailler de manière coopérative entre élus, associations, habitants impliqués sur des wikis est bien un enjeu de lien social et c’est aussi cela une politique publique qui relie Libre et coopération.
Michel Briand
Maire-adjoint de Brest, en charge de la démocratie locale, la citoyenneté et des nouvelles technologies.