Forum Mondial Sciences & Démocratie, Belem, janvier 2009

La connaissance comme « bien commun » ne se réduit pas à la science

Reprise d’un article publié par Vecam
site sous Contrat creative Commons posté samedi 31 janvier 2009 par Claire Brosaud

La connaissance comme « bien commun » se réduit-elle à la science ?

Pour répondre à cette question, il faut aller jusqu’aux frontières culturelles des sociétés. Et de constater alors que la science est apparue en tant que telle à partir de la Renaissance à un moment où la rationalité occidentale s’est installée durablement dans le champ de la connaissance. En trois siècles, les experts ont supplanté les clercs.

La science est devenue de plus en plus spécialisée, avec ses disciplines instituées et sa division du travail, ses instruments de mesure et ses instances de légitimité. Parallèlement, les savoirs des sociétés traditionnelles comme les médecines douces ont été délaissés.

Les anthropologues amazoniens ont été les premiers à dénoncer cette domination lors du forum « Sciences et Démocratie », non sans avoir pointé la tension qui existe entre la tentation créationnisme et le scientisme triomphant. Et si les modèles de développement scientifique, régulés depuis longtemps par le progrès, la croissance et le productivisme était en train de se transformer, faisait observer une « simple citoyenne » ?

Pour imaginer un monde où la science serait reléguée dans les sous-sols de la connaissance, il ne suffit pas d’aller au bord de l’Amazone et de rencontrer, ici plus qu’ailleurs, le relativisme culturel.

Allons, chemins faisant, du côté de l’anthropologie des techniques par exemple. Parce que l’outil et le langage sont des constantes anthropologiques, l’homme a toujours eu besoin d’instrumentaliser sa pensée par la médiation d’artéfact technique. Pour autant, la science n’est pas la technique et il existe des savoir faire uniquement basés sur l’expérience empirique.

Le raccourcissement des distances entre les hommes a contribué à la création d’Internet par exemple. Aujourd’hui, nous disposons d’une science appliquée, celle-ci étant un moyen de satisfaire des besoins économiques et sociaux d’un côté et d’une science spéculative ou fondamentale de l’autre, celle-là étant une façon de déplacer les enjeux de la technique sur un plan politique et épistémologique. Mais demain,

  • Peut-on imaginer une société où la science ne serait qu’une modalité parmi d’autres de la production de la connaissance ?
  • Peut-on envisager une posture plus radicale encore que celle d’une « science avec conscience » où la rationalité scientifique, essentiellement fondée sur l’administration de la preuve, ne serait plus la seule à outiller la pensée ?

De nombreuses civilisations - ne serait-ce que la Grèce antique -, ont montré par le passé qu’elles avaient la capacité cognitive de se produire elles-mêmes sans avoir recours à la science. Si l’on admet enfin que la connaissance, c’est bien ce que l’on sait, mais c’est aussi ce qui relie la chair et le verbe, la pratique et la théorie, le savoir et le savoir-faire, alors, il n’est point de salut pour les « biens communs » que ceux qui nous rattachent à notre humanité.

Publiciser la science en libre accès sur Internet : un enjeu démocratique

La valeur d’une démocratie se juge à la transparence de ses informations et le citoyen éclairé est celui qui a accès au savoir. Fort de ces valeurs-là, le monde scientifique a toujours défendu le libre accès à la connaissance par le biais de ses publications.

Seulement, à partir des années 1980, il y a eu une crise des périodiques et le prix des abonnements a augmenté de plus en plus. Dans le même temps, le secteur marchand de l’édition scientifique s’est énormément concentré puisque 60% des revues appartenaient en 2003 à trois grands groupes commerciaux.

C’est dans ce contexte qu’ont vu le jour une série d’expérimentations permettant de disposer gratuitement des résultats de la recherche sur Internet. En 2001, à Budapest, a été inauguré ce que l’on appelle aujourd’hui le mouvement scientifique de l’accès ouvert, puis il a été prolongé par diverses expériences qui ont permis de mettre quelques ressources éducatives en ligne gratuitement.

Ce mouvement s’est fédéré jusqu’à la déclaration de Cap Town en 2008. Internet a joué un rôle perturbateur sur le marché car de nombreux éditeurs ont vu d’un mauvais œil l’arrivée des archives ouvertes. Ils n’étaient pas prêts à céder leurs droits de propriété intellectuelle par crainte de perdre des lecteurs et donc des revenus financiers. Aujourd’hui, 2/3 des journaux et des revues scientifiques permettraient aux auteurs de faire des copies électroniques. Certains éditeurs ont décidé d’étendre cette autorisation à plus de six mois ou à un an après la publication « papier », d’autres restent résolument campés sur des positions défensives.

Quelques pays, comme le Brésil et l’Allemagne, ont rendu obligatoire en 2007 la possibilité de mettre les publications scientifiques sur Internet. En France, les pouvoirs publics ont mis en place une plate-forme ouverte grâce au serveur HAL, sur lequel les chercheurs déposent des documents scientifiques de toutes disciplines.

Autoriser l’accès juridique et opérationnel des publications au plus grand nombre sont des préalables de « l’open access » scientifique. Mais les usages de ces outils par les scientifiques sont aujourd’hui controversés.

La médiation entre la science et le public est empêchée en effet par le fait que les chercheurs sont contraints de publier dans des revues plus ou moins cotées sur le marché du savoir. Si bien que peu de scientifiques jouent le jeu, préférant donner la primeur à des revues qui leur permettent d’avoir une reconnaissance dans leur communauté. Si le phénomène est moins important pour les thèses électroniques, il n’empêche que la publicisation de la science sur Internet se juge à l’aune de ces pratiques dévoyées aux « biens communs ».

La propriété intellectuelle, dans ce domaine aussi, est une des dimensions de la propriété. Situé quelque part entre des tendances protectionnistes incarnées par le droit et des revendications libertaires en faveur du libre accès aux biens culturels et intellectuels, « l’open access » scientifique invite à repenser de nouvelles formes de régulation publique.

Claire Brossaud

VECAM fait partie des associations ayant organisé le Forum mondial Sciences & Démocratie qui s’est tenu à Belèm (Brésil, Amazonie) les 26 et 27 janvier 2009.

Nous proposons divers échos francophones de cet événement, en complément des échos internationaux qui seront déposés sur le site propre du FM S&D.

Le Forum mondial « Sciences & Démocratie » vient de se tenir à Belem, Une série d’articles reflétant les différentes rencontres du Panel sont en ligne sur le site de Vecam.

Posté le 1er février 2009

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